En écrivant deux actes qui semblent être deux pièces en un acte, indépendantes l’une de l’autre (au point de donner un titre différent à chacune), j’ai désiré surprendre le spectateur en faisant se rejoindre deux personnages qui paraissent être à l’opposé l’un de l’autre : un pauvre homme à la vie manquée, un homme soumis, vaincu, dominé, puis son contraire : un grand bourgeois en pleine réussite professionnelle, aisé, lancé dans la société.
Le premier se construit une existence rêvée, mais dont il ne peut en réalité se suffire, car il possède une intelligence du cœur que le talent de l’imagination ne peut tromper. Le jeu d’inventions sentimentales qu’il se construit, et auquel il joue devant nous, il n’en est pas la dupe. Au contraire, ce jeu le mène à la prise de conscience de sa solitude affective.
Donner les deux rôles à un unique comédien me semble un attrait supplémentaire pour ce spectacle : d’une part, c’est la mise en lumière d’un sujet identique pour deux personnages en apparence antinomiques, et c’est, d’autre part, la possibilité d’exploiter la palette élargie de l’interprète.
NOIR
Le second personnage, un soir, se trouve confronté au problème inverse : loin de comprendre a priori l’échec, il doit pourtant se mêler d’en protéger la victime – c’est son métier. Pour la première fois peut-être, la profondeur et l’enjeu de son travail lui apparaissent d’évidence, et la recherche de la psychologie du vaincu devient peu à peu sa propre introspection… et plus encore : il apparaît que c’est une société toute entière qui est en cause, et qui court à l’échec des individus.
Un message ? On se défend comme on peut, avec de la chance… ou pas.
Depuis longtemps, j’avais envie d’écrire ces répliques : « Je suis le seul à pouvoir vous aimer tous, parce que je n’ai pas besoin de vous pour cela » – et en réponse : « Si vous reconnaissez qu’un être est victime de son temps et que vous lui rendez sa liberté, c’est à son désespoir que vous le renvoyez ». Voilà, c’est fait.
Xavier Jaillard