Historique

La Cartoucherie, une aventure théâtrale

Prix Georges Jamati 2005

Joël CRAMESNIL
Avant-propos de Marie-Ange RAUCH

crasmenilPrix Georges Jamati 2005 (Ce prix récompense l’auteur d’un ouvrage, soit inédit, soit publié dans les deux dernières années, et traitant de l’esthétique théâtrale).

Ce livre n’est pas qu’une simple relation de l’histoire singulière, incomparable, d’un haut lieu théâtral, sans doute unique au monde. C’est aussi une analyse pertinente et fine de l’apport de la Cartoucherie à la création, au rayonnement culturel, à l’exception culturelle française, à notre perception de l’art, mais aussi une réponse à nos rêves et désirs. L’auteur s’est également attaché à mettre en évidence les implications sociologiques de cet acte fondateur, à son influence sur notre approche et notre vision de la place de la culture dans la société contemporaine.
C’est avec justesse que Marie-Ange Rauch, dans son Avant-propos, qualifie la Cartoucherie de Vincennes de « lieu de tous les possibles » :
« Avis à tous ceux, écrit-elle, qui se sont ennuyés jusqu’à présent aux multiples débats organisés sur le thème du théâtre citoyen, voici enfin une vraie histoire du théâtre dans la cité. Quatre générations théâtrales sont acte : « celle du théâtre d’avant-garde de la Rive Gauche du Paris des années cinquante (Jean-Marie Serreau), celle du renouveau théâtral des années soixante (Théâtre du Soleil), celle -issue de la ruche universitaire- qui a fait le choix de devenir professionnelle, aux lendemains de Mai 68 (Théâtre de l’Aquarium), dont le parcours va alors véritablement prendre son essor (Atelier de l’Epée de Bois, Atelier du Chaudron) ». Entre les choix esthétiques déterminants, la volonté d’échapper après 1968 et l’effondrement du modèle des Maisons de la Culture aux chemins institutionnels tous tracés, ces cinq lieux vont progressivement s’installer dans l’espace de la Cartoucherie, comme autant de laboratoires d’un nouveau savoir vivre en société de l’art dramatique. […]
Rien n’est jamais mélangé et surtout nous apprenons à comprendre comment tout se tient à travers une analyse compétente des entreprises et des acteurs »

L’auteur s’est attelé pendant sept ans à une tâche minutieuse, ambitieuse et réussie : analyser la Cartoucherie sous toutes ses coutures. Tout y est ! (…)
Une bibliographie étayée vient compléter ce livre qui dépasse un simple travail universitaire et que l’on lit avec un vrai plaisir. Un ouvrage d’utilité culturelle !
Nicolas Marc, La Scène, n°34, septembre 2004.

Les annales de la Cartoucherie sont longues. Joël Cramesnil les relate dans un heureux et rigoureux foisonnement d’informations. Il souligne la force politique de cette explosion.
Gilles Costaz, Le Magazine littéraire, n° 439, février 2005.

Un ouvrage dont l’apport à la recherche est important, construit avec rigueur, clarté et précision.
Mémoire, témoignage et questionnement qui se lisent en même temps comme un roman d’aventures.
Irène Sadowska-Guillon, Cassandre, n°60, hiver 2004/2005.

Joël Cramesnil commence par raconter la préhistoire du lieu mais aussi de ceux qui allaient faire du mot « Cartoucherie » l’un des plus beaux de la langue théâtrale française. (…) L’auteur dit tout cela. Sans conclure : car l’histoire de la Cartoucherie continue.
Jean-Pierre Thibaudat, Vient de paraître.

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JEAN-MARIE EICHERT
1944-2020
Bâtisseur de théâtres

Histoire de fantômes

Ce qui caractérise le passage d’un fantôme ─ et personne ne pourra en cela me contredire ─ ce sont les traces qui jalonnent les lieux où il se déplace. Certains imaginent des grincements de portes, des bruits de chaînes, des fenêtres brutalement ouvertes, un souffle glacial dans un couloir, voire le glissement d’une silhouette tout de blanc vêtue. Balivernes et billevesées !
Ces images, outre qu’elles appartiennent aux stéréotypes d’un univers irrationnel et littéraire, sont en totale contradiction avec la réalité qui concerne le fantôme de Bony. Quiconque, en effet, franchit le seuil du Théâtre de l’Épée de Bois, perçoit immédiatement sa présence manifeste. Pas une marche d’escalier, pas un plancher, pas une mezzanine, pas une rampe, pas un encadrement de porte, pas un siège, bref, pas un espace, qui, grand ou petit, ne révèle le patient travail de Bony.
Il suffit donc d’entrer dans le hall du théâtre, de s’arrêter au bar ou à la billetterie, de pénétrer dans chaque salle, en pierre ou en bois, sans oublier un passage à la cuisine et à l’administration pour retrouver Bony, maître des lieux dans l’ATELIER. Et s’il est vrai que l’on parle de spectacle vivant pour évoquer le caractère éphémère de ce qui se joue au théâtre, n’est-ce pas pour nous rappeler aussi que la frontière entre la vie et la mort est si poreuse, que l’on peut ─ et aujourd’hui on doit ─ la traverser sans hésiter.
Je le fais volontiers. Je m’engage. J’entends dans l’atelier le bruit de la scie circulaire. Bony sera là. J’attendrai un instant pour ne pas déranger. Puis je l’inviterai à prendre un café. Bony aime partager un café. Il aura souri de toute la clarté de ses yeux. Bony sourit avec ses yeux clairs. Il aura posé ses outils, secoué la sciure qui le recouvre tout entier. Nous voici attablés. Je n’aurai aucun mal à lui proposer de commenter l’actualité et, Dieu sait qu’en ce moment, ne manquent pas les sujets pour s’agacer, dénoncer, protester. Bony a de bons arguments pour protester. Nous protesterons.
Bony vient d’un temps où c’était le temps, de vouloir tout changer, transformer, osons le dire révolutionner. Et oui, le théâtre aussi, le théâtre surtout, dressait haut et fort les bannières protestataires. Bony était bien placé pour y participer. Et le voilà à la Cartoucherie, pour élaborer sur le métier, beaux décors bien pensés, en juste scénographie, en plaisir à fabriquer.
Bony nous a quitté dans ce temps de maintenant où il faut encore lutter et croire, pour avancer. Mais ce qui se confirme aujourd’hui, en présence des amis, c’est sa manière discrète d’aller et venir dans nos pensées, dans nos calendriers, pour ne pas oublier. Mais surtout, il nous faut accepter de le voir passer, là et ici, dans ces rares moments où, pour les plus attentifs d’entre nous, il suffira d’observer certains indices qui ne peuvent tromper. Un clou mal planté aura été enfoncé sur un tréteau, un cube manquant aura été remplacé dans la salle en bois, des planches auront été rangées dans l’atelier…
Et s’il fallait encore convaincre l’un d’entre vous de la véracité des propos énoncés, sachez que sur le bar une certaine tasse de café a été oubliée…

Mireille Diaz-Florian
24 août 2021

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«Bonne nuit, Neup’s.»

Voilà les derniers mots que j’ai pu te dire.
Alors faisant un énorme effort et toujours avec la dérision qui te caractérisait, tu as difficilement articulé : «Bo… Nui..»

Aujourd’hui je n’ai plus besoin de venir jusqu’à toi pour te saluer,
il suffit que je pose mon regard sur n’importe quelle partie du théâtre que nous avons bâti, pour sentir ta présence et pouvoir te dire : «Bonjour, Neup’s.»

Ghislaine et Clémentine ont eu la gentillesse de nous transmettre des documents que tu gardais discrètement. Ils témoignent que depuis ton adolescence tu aménageais, avec des copains et des copines, une cave pour y faire des spectacles.

Tu donnais déjà le meilleur de toi-même aux autres, aux spectateurs, aux citoyens, aux héritiers de la Commune de Paris.

Oui, ton théâtre, notre théâtre, le théâtre des copains, sera aussi, un jour, récupéré par les « Versaillais ». Alors nous ne serons plus pour eux des « bâtisseurs » mais plutôt des « pétroleurs » et des « pétroleuses ».

Cela ne fait rien, entre-temps cet outil de travail que nous avons forgé, aura servi pour que quelques « laissés pour compte » aient pu monter sur scène et y représenter leur rêve, celui d’un monde plus juste.

Tu savais que le théâtre, comme la vie, est éphémère. Cela ne t’a pas empêché de demeurer un combattant pour la vie, un « compañero ».
Nous essayerons de continuer ton engagement, de mériter ta confiance et ton amitié.

«Bonne nuit, Neup’s, à demain matin.»
Oui, car je sais que tu seras là, à côté du soleil levant.

A D-F. – 24 mai 2023

Photographie
Atelier de l’Épée de Bois

 

LUCETTE GRIMAULT
Co-fondatrice du Théâtre de l’Épée de Bois

Lucette, dans le brouillard de la passion théâtrale, tu as été cette petite lumière vers laquelle on tend, qui permet d’avoir un but et de ne pas se perdre dans la présomption de la jeunesse qui croit être capable de tout faire.
Venue au monde plus tôt que nous, tu as été l’axe de la rigueur de vie nécessaire pour constituer notre théâtre. Partie plus tôt que nous, tu éclaireras nos pas dans cet autre monde duquel nous ne savons rien et où nous irons tous.
Tu as été ma lumière, tu es maintenant mon ombre inséparable.

Antonio Díaz-Florián