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LA TOUR DE LA DÉFENSE

Un des principaux aspects de l’écriture de Copi, et notamment de La tour de La Défense, c’est cette manière qu’elle a d’en faire trop, de dépasser toutes les bornes, de pousser dans leurs retranchements les acteurs et les limites de la machine théâtrale.

Dans la pièce, les évènements se succèdent, et tous sont plus fous les uns que les autres : un serpent remonte les canalisations, une mouette rentre par la baie vitrée, un hélicoptère s’écrase sur la tour d’en face… l’écriture semble toujours vouloir en rajouter une couche, elle déborde d’idées. Pourtant, on y lit quelque chose de mélancolique ; comme si elle s’acharnait en vain, tentait par tous les moyens de rendre sa force à une vie qui, depuis longtemps, a perdu toute sa consistance.

Les personnages, par leurs réactions, racontent ce rapport étrange aux évènements, traversés avec une intensité sincère, mais ne laissant aucune trace, comme oubliés aussitôt après avoir été vécus. Pendant la quasi-totalité de la pièce, aucun de Jean, Luc, Micheline, Daphnée ou Ahmed n’est véritablement marqué par ce qu’il vient de traverser ; tous semblent guidés par leurs seuls instincts, dans une naïveté qui n’est pas sans rappeler celle de l’enfance, comme un grand jeu auquel ils seraient en train de prendre part, et dans lequel ils passeraient indifféremment d’un état à un autre.

Côté public on s’amuse, mais à peine a-t-on le temps de rire qu’un autre événement survient, et puis un autre, puis encore un, et qu’on se retrouve alors, peu à peu, plongé dans cet état étrange, à mi-chemin entre l’ivresse et l’asphyxie, si caractéristique de l’univers de Copi.

Lewis Janier-Dubry

L’HOMME ET SON PANTALON

L’Homme et son pantalon : un homme d’âge moyen, solitaire, doit réparer un accroc fait à son pantalon. Cette humble besogne suscite dans sa mémoire des souvenirs d’enfance et surtout ceux de sa mère. Dans la cour voisine, des femmes bavardent et bercent un enfant. Dans sa solitude pitoyable, l’homme s’invente de l’amour pour l’une d’entre elles…Revenu à la réalité, il n’a pour interlocuteurs que ses meubles et un chat…
Bien que considérée comme un « seul en scène », la pièce est plus qu’un monologue. Elle s’ouvre sur le monde réel (les voisines, un chat) mais surtout sur le monde intérieur du protagoniste, sur ses souvenirs d’enfance, ses fantasmes amoureux, le souvenir de sa mère, sa profonde solitude… C’est une véritable performance qu’accomplit l’acteur, livré à ce texte bouleversant, dont l’humanité et l’universalité restent intactes, après plus de cinquante années

DREYFUS…

« …Et puis, il peut même pas partir : on le traite de sale youpin, on lui arrache ses boutons, on lui casse son épée, il doit rester là, au garde-à-vous, saluer, dire : « Oui mon général, merci mon général, vive la France ! Vive l’armée, vive le pape, vive les antisémites, vive l’Inquisition, vive les pharaons… » Non, non, non, reste avec ton père, reste avec ta mère, ne deviens ni soldat ni capitaine ; c’est pas un métier pour un vrai juif. »
« Zina », in Dreyfus  de J-C Grumberg

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La Presse en parle

Constant Regard
(blog au club de Mediapart)
de Joël Cramesnil le 19 février 2024
 « Dreyfus » de Jean-Claude Grumberg par le Théâtre de l’Épée de Bois
« Dreyfus » de J.C Grumberg n’était plus à l’affiche à Paris depuis sa création il y a cinquante ans. L’action se déroule dans un shtetl en Pologne en 1930. Une troupe d’amateurs répète une œuvre originale consacrée au célèbre militaire français. Une pièce réaliste, où le rire s’emploie à conjurer le réel, avec pour fond de décor divers confluents liant la France de 1894 à la Pologne de 1930. »
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UNE SAISON DE MACHETTES

Ils sont dix.

Dix copains rwandais, hutus, copains de classe, de matchs de foot, de travaux des champs. En trois mois, d’Avril à Juin 1994, ils ont massacré à la machette, « sans rien penser », tout ce que leur bourgade et les collines voisines comptaient de tutsis, près de cinquante mille, hommes, femmes, enfants, leurs « avoisinants », avec qui ils avaient aussi partagé bancs de classe, bancs d’église, soirées arrosées et matchs de foot.

Jean Hatzfeld les a rencontrés dans la prison où ils purgeaient leurs peines (A ce jour, tous, sauf un, ont retrouvé la liberté, leur village, et ceux qu’ils n’avaient pas eu le temps de tuer) : ils ont raconté calmement, placidement, d’une voix posée, presque neutre.

Paroles sans précédent, si l’on se réfère aux autres grands génocides du siècle (même si l’on pense, ici, au journal tenu par Rudolf Höss, le Commandant d’Auschwitz, ou, là, au film de Rithy Panh, S 21). Paroles littéralement sidérantes, au moins autant par la forme qu’elles prennent que par leur contenu, qui posent les questions essentielles sur l’homme, et ce qu’on a appelé, il y a moins d’un siècle « la banalité du mal », mais aussi sur les mécanismes – idéologiques, collectifs et individuels- qui en autorisent l’épanouissement. En 1995, j’ai mis en scène des Conversations avec Primo Levi, qui posaient déjà les mêmes questions, à propos d’Auschwitz. Un spectacle qui, vingt-huit ans plus tard, poursuit son chemin, dans toute la France. Ce travail en est le second volet. Le livre de Jean Hatzfeld alterne les paroles des « coupeurs », le regard aigu, bouleversant, de quelques rescapés – leurs « avoisinants »-, en majorité des femmes, et les réflexions, les mises en perspective de l’auteur. Tout y est passionnant. Le choix des textes, inévitable, s’est entièrement resserré autour des récits des cultivateurs, dans la volonté d’une confrontation nue, directe avec chaque spectateur. Pour que chacun, en toute liberté, se construise son jugement, ses interrogations. De Jean Hatzfeld, on a seulement conservé, en guise d’ouverture, les premières pages, et quelques interventions, comme autant de respirations nécessaires.

Difficile de parler de « spectacle ». Il s’agit plutôt d’une mise en voix collective, d’une « livraison » de récits : un choeur tragique du siècle – le tragique trouvant ici une dimension supplémentaire dans le décalage entre l’acte et la manière de le dire, un décalage tel qu’il frôle parfois, même s’il est difficile de le reconnaître, le burlesque. Tout le travail, ici, consiste à tenter de faire entendre ce décalage, dans la recherche de la transmission la plus juste, loin de toute réduction, ethnique ou psychologique. Quatre comédiens, une contrebasse, un mur et quelques lumières. Le mot, ici, est l’essentiel, et il s’agit, dans le temps et l’espace resserrés de la représentation, d’en dilater le sens, au maximum. Sans pathos ni métaphore. Primo Levi : « L’horreur est. Il vaut mieux laisser les choses se raconter d’elles-mêmes. »

Il ne s’agit pas de désespérer l’auditoire -à quoi bon ? – mais d’essayer de comprendre. Parce que ce qui interroge le plus, finalement, dans ces paroles, c’est leur insupportable proximité.

Dominique Lurcel

LE CIMETIÈRE DES VOITURES

C’est le récit de la journée d’un hôtel, dont les chambres seraient remplacées par des carcasses de voitures rouillées… Où les personnages seraient chargés d’incarner les serviteurs, les puissants, les servis, les soumis, les artistes. Dans un monde où les femmes auraient presque toutes disparues et où la musique est interdite, une poignée d’individus survit dans un cimetière de voitures. Ils sont tous sur[1]veillés ou recherchés par une sorte de milice dont on ignore l’origine, et particulièrement l’un d’eux : Émanou, un musicien qui organise des concerts clandestins.

Mis en scène pour la première fois en France en 1966, et interdit  jusqu’en 1977, Le Cimetière des Voitures, a finalement été mis en scène en espagnol pour la première à la mort de Franco.
Le Cimetière des Voitures de Fernando Arrabal n’est pas à proprement une œuvre de théâtre au sens traditionnel mais plutôt un terrain de jeu, un champ d’investigation formidable pour le metteur en scène et les acteurs, parce qu’il propose moins un discours dramatique cohérent que des visions, une atmosphère et la possibilité d’une extrême théâtralité.