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CARNET DE VOYAGE Diarios de motocicleta : Notas de viaje por América Latina

Le 29 décembre 1951, deux jeunes argentins entreprennent un voyage à travers l’Amerique latine sur une vieille Norton 500 « La Poderosa II ». Ernesto Guevara est un jeune étudiant en médecine de 23 ans, spécialisé en léprologie. Alberto est un biochimiste de 29 ans. Sur leur chemin, ils pénètrent les racines d’un passé invisible mais encore habité et rencontrent des êtres simples et bouleversants. La confrontation avec la réalité sociale et politique des pays visités et les rencontres qu’ils vont faire les amènent à prendre conscience de la réalité du monde et la misère dans laquelle vivent les populations. Cette expérience éveillera de nouvelles vocations…

Ce qui m’intéresse et me touche dans ce « Carnet », c’est l’universalité qui émane de cette œuvre. Il s’agit de vivre ce voyage avec cet homme, à cette période de sa vie. « Voyage à Motocyclette » est une expérience, une traversée qui change tout homme. D’une beauté poétique fulgurante, l’écriture est à la fois concrète et d’un réalisme au plus près de l’action et du ressenti émotionnel. Comme le dit l’auteur lui-même, il ne s’agit pas d’un récit mais « de fragments de vies parallèles ou entrecroisées ». Les mots respirent la vie et transpirent cette expérience du terrain, « l’expérience vécue ». L’œuvre se compose d’une narration, de paysages extraordinaires, de sentiments intimes, de rencontres, de bouillonnements d’êtres et de destins et de prise de conscience.

« Voyage à Motocyclette » nous fait pénétrer au cœur du continent Sud-Américain, dans le grand théâtre du monde. Universelle et intemporelle, l’œuvre s’inscrit à la fois dans le présent mais aussi dans le passé, celui des cités perdues, des civilisations oubliées, celui des peuples disparus qui aujourd’hui errent sur les routes, du peuple chassé et humilié : celui des indiens d’Amérique, d’un âge d’or, d’un monde aujourd’hui mort et elle nous renvoie ainsi à notre propre histoire : Comment comprendre le présent si tu ne connais pas ton passé ? Un peuple peut-il continuer d’exister sans ses racines ?

L’œuvre est subjective, nostalgique et mélancolique mais aussi portée vers l’avenir. Elle est une vision des enjeux et des conflits de demain et avec lucidité, l’auteur nous catapulte dans ce que sera l’Amérique du Sud : les grands bouleversements politiques (dictatures, conflits), économiques (injustices, exploitations), sociaux (inégalités, fractures), culturels (pertes d’identité et disparition de certaines communautés autochtones) et écologiques (exploitations des richesses naturelles, déforestations, pollution, extinctions de certaines espèces, sécheresse, etc.).

J’ai voulu porter cette « vie » et « faire ressentir cet élan », « ce bouillonnement d’êtres » sur la scène. Il s’agit de faire vivre au spectateur « l’expérience » de ce voyage, de faire exister ces rencontres et de faire ressentir les éléments physiques et naturels que les personnages vont traverser : donner à ressentir les conséquences des bouleversements, le poids du passé et le vide d’aujourd’hui pour arriver à plonger véritablement au cœur des destinées et de se laisser pénétrer par « l’Esprit » de cette Amérique en pleine mutation. La Nature est ici au cœur du voyage, elle jouera un rôle essentiel et va directement agir sur les personnages.

Il s’agit aussi d’entraîner le spectateur au cœur d’un destin, à l’intérieur d’une âme pour donner au spectateur l’expérience que vivra l’auteur : Celle de l’universalisme et de l’humanisme et cet invisible mouvement qui va faire d’un « homme ordinaire », un « combattant révolutionnaire ».

A fleur de peau, toujours à la limite, extrême, sur le fil sensible de la vie ce « Carnet » est au cœur d’une actualité sensible et explosive. Ce texte ouvre sur toutes les déchirures actuelles : Frontières, immigration, capitalisme, mondialisation, exploitation des richesses naturelles, misère, choc des cultures et des civilisations tout en nous donnant le recul essentiel, le froid sublime de ne pas être sous le flux de l’information et de la communication stérile d’un système.

Mais surtout ce « Carnet de Voyage » est un message d’amour, un cri de liberté, un appel à l’humanité, à l’idéalisme, au rêve de fraternité, cet idéal de jeunesse éternel, d’inconscience, de naïveté, de sagesse, d’un homme nouveau, d’un monde meilleur. Une quête pour un message d‘union, mais aussi de singularité, un voyage dans le présent mais aussi dans le temps à la rencontre de l’histoire, des racines de chaque peuple, loin de la mondialisation et du capitalisme, loin de la société de consommation. C’est la vision utopique d’un monde de partage véritable.

Il était essentiel de ne pas anticiper les événements et de préserver la naïveté et l’inconscience de ce Carnet pour nous amener a percevoir l’évolution d’une âme, d’un être, à travers les événements qu’il traversera jusqu’à cette invisible prise de conscience au fur et à mesure des rencontres, sur le fil, et qui va faire naître un homme nouveau… Le tournant dans le destin d’une vie.

COMME S’IL NE MANQUAIT RIEN

Note d’intention
A la vue d’une peinture de Jean Pierre Schneider dont la figure est une jarre, suggestion du vide ou appel de la plénitude. Blandine Jeannest se remémore le vers de Yannis Ritsos « comme s’il ne manquait rien alors que tout manquait » extrait de « Les vieilles femmes et la mer ».
C’est à travers les voix de femmes grecques contemplant leur vie et la mer « sur le chemin d’en haut où commencent les vignes » que Yannis Ritsos aborde les grands thèmes de son œuvre poétique, sensuelle, intense et parfois désespérée : le temps, la mémoire, la mort, l’absence, la présence des objets du quotidien, la filiation. Ritsos est hanté par « son rocher» natal lourd de souvenirs historiques et de la mémoire d’une famille tôt détruite. Est évoquée la condition des femmes grecques en attente des hommes absents, partis en mer ou happés par l’histoire. Pour Yannis Ritsos l’engagement en littérature et en poésie va de pair avec l’engagement politique dans un 20e siècle grec ponctué par la seconde guerre mondiale et les dictatures.

Les musiques :
En écho à la parole de ces femmes, trois musiciennes  au chant, violoncelle, piano interprètent une musique méditerranéenne qui est à la fois la résonance, prolongement et silence du texte : le lamento d’Ariane de Monteverdi et les plaintes de Caccini, les chants populaires grecs de Ravel, les accents de Granados et Falla ainsi que les harmonies intemporelles d’Arvo Pärt répondent par leur intensité poignante au verbe du poète engagé dans l’histoire mais aussi dans une quête existentielle universelle.
La mise en scène de Jean Pierre Schneider divise le plateau en espace maritime et terrestre, les blocs d’une digue étayant la mémoire vacillante des femmes. Les matières de la peinture de Jean Pierre Schneider, leur matité disent un réel dont la parole poétique de Ritsos ne s’affranchit pas mais qu’il dépasse dans la lumière des horizons maritimes d’une Grèce éternelle.