Archives pour la catégorie se joue en Juin 2018

LA CERISAIE – VARIATIONS CHANTÉES

La Cerisaie : les amours impossibles, le départ définitif, l’emprise de l’argent, l’espoir d’une nouvelle vie, la destruction du passé, fût-il un bois, un jardin de cerisiers, une maison, une vie… Des thèmes d’aujourd’hui qui réunissent toutes les générations : les jeunes qui rêvent d’un beau futur, les adultes qui luttent contre ou se plient parfois à la férocité des temps, les vieux que l’on oublie… De cette exploration du texte et des thèmes de cette grande pièce nous avons essayé de faire un spectacle qui coule fluide, comme un fleuve, comme un film : pas de décor sauf une énorme toile blanche, quelques accessoires. Et la musique, des chansons du répertoire et des chansons originelles. Un chœur d’artistes comédiens chanteurs jouent la Cerisaie et racontent la genèse de sa création à travers les lettres de Tchekov à sa femme Olga et à son metteurs en scène, le célèbre Stanislavsky.

LE BORD

Une ville. De nos jours. La nuit. Au bord d’une nouvelle vie, un jeune homme tombe sur le corps d’un vieil ivrogne couché dans la rue. Les deux sont en fuite — pour aller où ? L’événement est aussi fugace et percutant qu’un accident aperçu à travers la vitre d’une voiture. À un autre endroit de la ville : le jeune homme rentre chez lui, où l’attend sa mère pour leur dernière soirée ensemble. Mais le vieil homme l’a suivi et va faire irruption dans la maison pour régler des comptes. D’un incident à l’autre, trois vies basculent.
Le Bord, pièce inscrite dans le cycle d’œuvres que Bond a originellement écrites pour être jouées dans les lycées et collèges, explore avec un humour tonique la notion de gouffre entre les générations, décrit avec compassion les déchirements d’une séparation, et propose une parabole moderne sur la difficulté qu’il y a à se constituer en être responsable et solidaire, dans une société acharnée à étouffer et briser la liberté créatrice de l’individu.

Edward Bond s’est intéressé à l’écriture dramatique pour jeunes publics à l’occasion d’une profonde crise dans les milieux scolaires britanniques, déclenchée par la politique ultra-libérale, et nécrosante pour le tissu social, que mena Margaret Thatcher dès les années 70. Une des conséquences de cette politique fut le démantèlement d’un système original d’éducation par le théâtre : Theatre-in-Education, dont les forces vives : « acteurs-professeurs », furent systématiquement réduits au silence. La seule compagnie qui ait survécu à ce détissage destructeur est aujourd’hui encore installée à Birmingham : Big Brum. La compagnie va au-devant de collégiens et lycéens vivant et étudiant dans des zones défavorisées, pour s’installer dans leurs établissements et présenter des spectacles accompagnés d’ateliers pratiques. Edward Bond entama un partenariat avec Big Brum lorsque la compagnie lui demanda son soutien public afin de protester contre les coupes de subventions. À cette occasion, Bond écrivit Auprès de la mer intérieure (1995), qui aborde de manière audacieuse la question de la Shoah. Un lycéen s’y prépare à un examen d’histoire. De son lit surgit une femme venue du passé : elle s’apprête dans l’instant-même à pénétrer dans une chambre à gaz. Elle tient un bébé et demande au jeune garçon de lui raconter l’histoire qui pourrait sauver son enfant. La question est alors : comment « sauver les morts », « extraire un sens du chaos »… et offrir ce sens à l’humanité ? Pour répondre à cette question, l’outil principal est l’imagination, qui crée des valeurs en dessinant une carte du monde permettant à chaque individu, dès la toute petite enfance, de se situer par rapport au monde et aux autres. De se situer dans l’Histoire aussi, en élargissant les frontières de notre mémoire.

À partir de là, Bond lancera tous les deux ans à Big Brum les défis des pièces qu’il écrira pour la compagnie. Ce seront, entre autres : Onze débardeurs, Si ce n’est toi, La Sous-chambre, Le Bol affamé…

Jérôme Hankins, avec l’Outil compagnie, s’est emparé de l’œuvre pour jeunes publics de Bond, pour mieux la faire connaître et la diffuser en français. En 2002, ce furent Les Enfants au Théâtre-Studio d’Alfortville, puis Le Numéro d’équilibre, créé dans la programmation officielle (« in ») du festival d’Avignon, en 2006, en partenariat avec le Théâtre de la Colline, avec une tournée dans toute la France. En 2011, création de La Flûte au Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie, à Rouen, avec une diffusion dans une vingtaine d’établissements scolaires. Le Bord fut créé à Amiens, en mars 2016, à l’occasion des « Rencontres européennes Edward Bond », premier colloque universitaire jamais consacré à cet auteur, à la Faculté des Arts de l’Université de Picardie Jules Verne.

Pièces d’apprentissage pour jeunes comédiens, et jeunes publics, les pièces pour Big Brum sont pour Bond l’occasion d’une réflexion sur le théâtre, mais aussi sur le fonctionnement de l’esprit humain. En écrivant pour des enfants ou des adolescents, Bond affirme sa foi en leur capacité morale d’affronter et de comprendre la complexité de l’expérience humaine, jusque dans ses plus profondes tragédies. Car l’enfant est la partie de nous qui a regardé le monde et les choses pour la première fois, avec une innocence radicale qui cherchait dès l’origine un sens à la vie. L’être humain, dès ses premiers pas dans le monde, est un être responsable qui accueille le reste de ses frères humains dans le monde qu’il (se) crée pour survivre. C’est ainsi que l’on peut lire le trajet du jeune Ron dans Le Bord : pris au piège des conséquences d’un accident apparemment anodin, il va accepter d’affronter les questions les plus douloureuses — la vie, la mort,l’injustice, en apprenant à leur donner un nouveau sens, pour faire face à son existence encore à inventer.

Jérôme Hankins

BERLIN, TON DANSEUR EST LA MORT

Berlin, ton danseur est la mort est une pièce de théâtre contemporaine et musicale, écrite au début des années 80 par Enzo Cormann.

Elle est extrêmement originale par sa forme et son sujet. Tout d’abord, par son écriture : un mélange de poésie et de prose, de lyrisme et de simplicité, une oralité parfois douce, parfois brutale, qui lui donne un aspect cinématographique tout à fait rare au théâtre.

En effet, lorsque nous lisons cette pièce, de nombreuses images nous apparaissent, comme des scènes de film. Il va sans dire que l’auteur s’inspire – et par là-même rend hommage – au célèbre musical Cabaret de Fosse, à l‘Ange Bleu de Stenberg ou encore au cinéma de Fassbinder, et plus globalement aux années 30, à ces années orageuses où la création artistique fusionne de mille feux parce que censurée, et où les expressionnistes, les fauves, les cubistes… sont à leur apogée.

De plus, cette pièce traite de la montée du nazisme à Berlin, à la veille de la plus terrible des guerres que l’humanité ait connue. L’auteur évoque à plusieurs reprises l’antisémitisme, le racisme et l’homophobie omniprésents dans l’organisation nazie, et l’horreur de la déshumanisation. Comment ne pas avoir les images d’archives en tête, comment ne pas entendre Hitler proférant ses discours haineux, ou les pas ordonnés et systématiques des soldats SS ? Comment ne pas voir Charlie Chaplin sur son globe dominant le monde ? ou la vision terrible des cadavres squelettiques dans les camps de la mort ? Plus qu’une simple histoire théâtrale, c’est un véritable devoir de mémoire que nous livre Enzo Cormman.

Aussi, l’auteur a eu la subtile idée, au même titre qu’un Brecht, d’ajouter une partition musicale à son œuvre. Au delà de ses nombreuses références artistiques citées à plusieurs reprises dans sa pièce, l’écriture nous plonge réellement dans une atmosphère, une ambiance… qui dépasse le théâtre : c’est tout à coup une chanson, un livre d’histoire, une étude, un témoignage… à travers lesquels on peut facilement, en tant que spectateur, s’attacher et s’identifier.

Cette pièce théâtrale qui, à travers deux ultimes monologues (au début et à la fin), dénonce foncièrement l’horreur de la guerre, et qui traite l’un des sujets les plus dérangeants de notre histoire, par l’évocation de la Shoah notamment, se doit d’être vue, entendue, et accessible à tous. « Que toujours, partout où un être humain serait persécuté, je ne demeurerai pas silencieux » disait Elie Wiesel. Le théâtre prend alors toute son importance car il devient nécessaire. Il permet au monde de se souvenir et de ne jamais oublier. « Parce que nous ne sommes pas là pour nous plaindre mais pour changer le monde… »