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PROUST À VOIX HAUTE

PROUST À VOIX HAUTE par LECTIO ORCHESTRAM

LECTIO ORCHESTRAM inaugure son cycle de lectures avec PROUST  À VOIX HAUTE, un voyage en six étapes, à travers À la recherche du temps perdu et Le Temps retrouvé, tous les derniers lundis du mois, de janvier à juin 2020, au Théâtre de l’Épée de Bois. Première étape : Combray.

LECTIO ORCHESTRAM est un chœur d’une vingtaine d’acteurs, réunis par Laurence Février, qui propose au public la lecture-orchestre d’une œuvre littéraire. Il s’agit de faire entendre la multiplicité des sens et des émotions de l’œuvre par la multiplicité des voix. Les lecteurs et les lectrices du chœur ne personnifient pas les personnages ou l’auteur du texte, mais chacun et chacune donne à entendre, de façon chorale, une approche personnelle et sensible du passage qui est lu.

L’univers de l’œuvre n’est donc pas révélé par une lecture objective et neutre qui se voudrait universelle, mais par une lecture multipliée, grâce à l’approche singulière de tous les lecteurs, qui créent un lien intime et émotionnel avec l’univers de l’auteur.

« Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y ait d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini…» (Le Temps retrouvé).

L’œuvre de Marcel Proust est une réflexion majeure sur les fonctions de l’art, sur la mémoire affective et sur notre rapport au temps. Proust s’interroge sur l’existence même du temps – qu’il écrit avec un T majuscule – sur sa relativité et sur notre incapacité à le saisir au présent. Il crée aussi une nouvelle Comédie humaine où il analyse la société aristocratique et bourgeoise de son époque.

À partir de 1907, Proust ne vit plus que pour l’accomplissement de son œuvre. Il a l’intuition qu’elle aura un retentissement planétaire. Il a conscience que sa pensée le dépasse, il s’efface devant ce qu’il observe de lui-même et des autres, le narrateur « n’étant qu’une figure creuse », qui permet la richesse d’une description au scalpel de l’existence des quelques 200 personnages de la Recherche. Le jour de sa mort, il ne s’arrête de travailler qu’à 3 heures du matin, conscient qu’il est proche de sa fin, regrettant éperdument de ne plus avoir l’énergie d’écrire ce qu’il ressent au fur et à mesure de son agonie… Il meurt deux heures plus tard.
« Quand d’un passé ancien, rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles, mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. » (Du côté de chez Swann).

Première étape le 27 janvier : Combray
Deuxième étape le 24 février : Un amour de Swann et Nom de pays : le nom

L’ÉTABLI

L’Établi est une épopée. Dix mois intenses d’immersion. D’autres mois pour digérer, et écrire. Puis le silence, des années durant.
Se souvenir du bruit, même en dormant. Les gestes répétés, les paroles d’ouvriers, et la solitude, la saleté, le pognon et tout le reste. Paris, ses banlieues toutes neuves, et l’avènement d’une société de loisirs. Après mai 68, que Robert Linhart a passé à l’hôpital, les pavés sont retombés et il a fallu retranscrire, réfléchir, proposer cette autre société. Il a fallu rapprocher les générations, les cultures. Et le « vivre ensemble » s’est construit sur les ruines de mai 68.
De l’Université Paris-Vincennes – dont la fille de Robert Linhart, Virginie, a tiré un documentaire édifiant – à l’émergence d’un nouveau cinéma, démocratisé, et de formes théâtrales innovantes (les débuts de la Cartoucherie, de la décentralisation, la naissance des Maison de la Culture, comme celle d’Amiens, inaugurée par André Malraux), le monde ouvrier et ses enfants accèdent peu à peu à une instruction alternative, et trouvent dans les fanzines d’humour ou autres cahiers étudiants (comme celui que fonde Robert Linhart à Ulm) comme un prolongement énervé des pensées à chaud, de la parole de la rue. Pas de récupération. Une écriture radicale. Des vraies manifs.

Dans le creuset d’émotions que suscite mai 68 et la décennie qui va suivre, il y a aussi beaucoup d’espoirs, dont certains sont déçus aujourd’hui.
Robert Linhart est un mystère. Un écrivain qui a vécu de l’intérieur et retranscrit cette période et l’engagement singulier des « établis ». Son roman, qui lorgne aussi vers l’essai économique et sociologique, est une photographie toujours juste des luttes ouvrières, et pose un regard jamais égalé sur la dualité des sentiments dits de « classes ». C’est le livre ultime, qui rassemble autant qu’il divise, et que même son propre auteur rechigne à évoquer. C’est un bouquin sur la vraie vie des vrais gens, ceux de la grande couronne autour de Paris : les immigrés, noirs, arabes, portugais, polonais, qui cohabitent avec des titis parigots, et qui parlent de leur pays, et du nôtre, de leur époque, comme de la nôtre.
Quarante ans après les choses ont changé. Il nous appartient de rendre compte d’une époque passée, révolue, hésitante, dans une époque résignée, plombée par des années d’expérience du capitalisme.

Sur scène, il y aura ce narrateur. Trois ou quatre acteurs, pour l’aider à (se) jouer (de) tous les autres : les ouvriers, les petits patrons, la société. Quelques archives et beaucoup de matière sonore, autour de la musique de Toskano et Vadim Vernay, qui sera jouée live. Comme un bruit de fond, persistant, qui empêche la concentration, qui mine le recul nécessaire pour ne pas devenir fou, usé, obsolète. A travers des projections de photos, de documents d’époque, de vidéos subjectives, nous aborderons L’Établi comme un terrain à explorer, avec le souci constant de ne pas nous positionner avec ce recul arrangeant, aujourd’hui vieux de quarante ans, qui pourrait dogmatiser le propos. Respecter le rythme de l’époque, propre au sociologue dissimulé. Il faut vivre le spectacle comme quatre mois de questionnements et d’étonnements, jour après jour, comme un tunnel d’expériences humaines, avec les machines, avec les horaires, le rendement et la cadence.

La musique nous aidera à boucler ce périple en terrain inconnu, pour opposer au silence de Robert Linhart une pulsation de Spoutnik, industrielle, persistante et familière.