Archives pour la catégorie Archive

MON ÂGE D’OR

La Presse en parle 

Une fée de poche qui vous prend par le bout du cœur L’Humanité / Jean-Pierre LEONARDINI

Accompagnée par le pianiste Vincent Leterme et le violoniste Laurent Valero, cette tanagra blonde fait de chaque spectateur son intime. Avec légèreté et trois petites notes de musique, elle donne le secret de son bonheur : être fidèle à ses songes, à son enfance et à la scène. Jouez violons, sonnez crécelles. L’Obs/ Jérome GARCIN

Et maintenant elle chante ! Sur le fil de la mémoire, des perles précieuse : des chansons qui l’ont marquée et qu’elle interprète de sa jolie voix, timbre touchant, précision de la moindre inflexion. Moment musical rare, chaleureux, rigoureux et extrêmement touchant. Le Journal d’Armelle HELIOT

La dynamique est là, la puissance de l’évocation et la joie aussi…Le Théâtre, une fois encore… Arts-chipels.com

Sans affectation, avec la juste mesure de théâtralisation qui sied à ce spectacle en chansons fort bien écrit et fort bien accompagné par Vincent Leterme et Laurent Valero, Natalie Akoun partage et transmet de belles émotions. Froggy’s delight

*******************

Du plus loin que je m’en souvienne, aller voir des spectacles de théâtre et des récitals de chanteurs me procuraient la même sensation : un désir fou et immédiat de partager la scène avec eux.  Être à ma place de spectatrice était insupportable, plus ce que je venais de voir sur scène était beau, plus mon émotion artistique me plongeait dans une sorte de tristesse dont je ne savais que faire, ma vraie vie me semblait fade tout à coup, insupportablement fade, et la vie d’artiste dont je rêvais me paraissait inaccessible. Je regardais par la fenêtre du salon l’affiche de Michel Fugain et le big Bazar, affiche qui a longtemps recouvert un chantier juste en face de l’appartement où j’ai grandi, je connaissais tous les visages de cette affiche dans les moindres détails, voir tous ces artistes aux cheveux longs, aux habits colorés me faisait basculer ailleurs, je rêvais de partir sur les routes et de travailler sans relâche, je rêvais d’être une saltimbanque…(« Saltimbanque » de Maxime Le Forestier fait partie des dix-huit chansons que je chante dans le spectacle).
Les émissions de variété était notre rituel familial du samedi soir avec ma sœur et ma grand-mère pendant que mes parents allaient au théâtre voir des spectacle de Vitez , Mnouchkine, Jean Pierre Vincent… Quand ils avaient aimé le spectacle ils nous y emmenaient le lendemain et le revoyaient avec nous. Le lieu qui a cristallisé tout cela a été La Cartoucherie de Vincennes, lieu miraculeux qui a traversé toutes les périodes de ma vie, où j’ai vu enfant et adolescente des spectacles auxquels je pense encore aujourd’hui, puis où j’ai joué plus tard, et où mes propres enfants ont tellement aimé nous voir travailler pendant qu’ils courraient et jouaient dans l’herbe, il a aussi été le lieu de notre mariage !
Depuis toujours j’ai eu envie de chanter, dans tous mes spectacles les séquences chantées et chorégraphiées y sont d’ailleurs nombreuses, mais jamais  à part, plutôt tricotées dans le texte… Comme pour continuer une pensée quand on ne trouve plus les mots ou quand on n’a plus conscience de ce que l’on ressent, comme une boite noire enfouie au fond de sa tête. Toutes les chansons que j’aime, qui m’habitent et m’accompagnent sont liées à un souvenir intime, à des vêtements, des couleurs, des coiffures,  ces détails-là me restent gravés à jamais et font corps avec la chanson.
Ce spectacle s’adresse à une personne que je ne connais pas, qui ne me connait pas, et  qui pourtant (je crois, j’espère) se sentira immédiatement de ma famille , aura partagé les mêmes rêves, les mêmes doutes, et comme moi aura été si surprise par la vitesse du temps.  Car plus un souvenir est personnel et détaillé (seuls  les détails m’intéressent), plus le spectateur y superposera son propre film, calquera sa propre page qui se fond avec la mienne.
Le regard ciselé et délicat du metteur en scène sur nous trois a donné à ce projet une couleur dont je n’avais pas idée en l’écrivant, lui seul pouvait monter ce texte et comprendre à ce point le projet rêvé que j’avais en tête, et m’a parfois poussée dans certains registres  dont je ne me pensais pas capable.
Durant le travail j’ai été confrontée à beaucoup de difficultés techniques, dues à la musique bien sûr, à l’exigence et la rigueur de Vincent Leterme, j’ai douté forcément, sur le plateau je réfléchissais en même temps à l’écriture, à la construction, à un mot ou une phrase qui ne sonnaient pas comme je voulais, même si le sens était là.  Les indications d’Olivier ont été dès le début de jouer comme si j’invitais le public dans mon salon ou ma cuisine, bouger sur scène comme dans ma maison, ne jamais être en représentation, en un mot être libre et tout me permettre, et cela donne au spectacle une dimension amusante et pétillante qui rend le spectateur complice avec mon personnage.
Dès le début du travail avec Vincent Leterme, j’ai été convaincue d’ une chose : outre le fait qu’il soit un merveilleux pianiste (et pédagogue) , je voulais qu’il soit un vrai partenaire de théâtre, un personnage à part entière. Car Olivier et moi avons été frappés par son potentiel comique, sa présence lunaire, et Olivier l’a poussé dans ce sens.  Dès son entrée une complicité se crée entre nous car je m’adresse à lui en chantant à capella, cette petite séquence a pour moi un charme particulier, on dirait presque une scène de cinéma.
J’avais envie aussi que le piano soit très présent et qu’il soit une réponse à la parole. Musicalement comme physiquement. Ce piano devient même pour un bon moment une petite chambre d’étudiante où un garçon peut entrer, reprendre en duo une chanson que je chante dans mon lit , ou me jouer un air de violon lorsque je vais m’endormir. (énigmatique et charismatique traversée du violoniste Laurent Valero quand je suis endormie sur le piano). Le piano devient pendant deux chansons un petit théâtre à lui tout seul, je suis assise dessus comme un petit oiseau voulant rejoindre son petit poisson (« Un petit poisson » chanson de Juliette Gréco),  puis allongée comme dans mon lit en chantant une chanson d’Anna Karina.
Ce qui nous importait à tous était de ne pas rendre la relation entre nous trois explicite. Bien sûr, je suis nourrie des films de François Truffaut, de Jacques Demy, et j’avais beaucoup de références en tête, mais ce que je trouve réussi et poétique est notre relation qui se passe de mots :  juste trois corps dans l’espace qui racontent et chantent la même histoire.
La participation de Laurent Valero est devenue de plus en plus importante au fil des répétitions. Au début il m’a fait travailler le phrasé, le rythme, la respiration de la musique, mais en étant peu présent sur scène. Puis au fur et à mesure de la vie de ce spectacle, ses interventions évoluent et enrichissent le spectacle, nous chantons même une chanson tous les trois alors que ce moment n’existait pas jusqu’alors. Laurent Valero est par ailleurs producteur de l’ émission sur France Musique « Repassez moi le standard ».
Mon âge d’or est un spectacle sur la naissance d’une vocation, un regard émerveillé sur l’état d’ artiste.  Le spectacle démarre sur ma première colonie de vacances où je participe aux veillées de théâtre du « groupe des grands » où je joue des  scénettes de théâtre et chante devant les autres enfants (« Trois petites notes de musique ») , et se termine par  mon entrée au Conservatoire de Paris (« Seuls au monde » de Julien Clerc),  en passant par les spectacles qui ont marqué ma vie, où la simplicité d’un choix de mise en scène  ouvre des portes sur « tous les possibles » . Quand on touche du doigt que tout est possible sur une scène, alors la vie devient très belle.
C’ est aussi une déclaration d’amour à Paris. Je ne serais bien sûr pas la même personne si j’étais née ailleurs, bien que  je commence et termine le spectacle par l’évocation de l’Algérie, d’où viennent mes parents Juifs Pied-Noir.  C’est une longue déambulation, de ma première fête de l’Huma sur les épaules de mes parents en mangeant des hot-dog avec ma sœur, jalonnée de toutes les chansons qui m’ont accompagnée, en passant par tous les quartiers de Paris où je me sens chez moi, à condition qu’ils soient au soleil !
Ce spectacle, c’est comme si je le jouais et le chantais à l’oreille de chacun, j’invite chaque spectateur à entrer dans ma vie, dans maison, dans ma tête, j’aimerais que chacun en ressorte avec la sensation que je viens de leur parler d’eux, à eux, que je viens de leur jouer et chanter leur histoire, avec douceur, légèreté et authenticité.
C’est une histoire de tendresse et d’amour inconditionnel. Une histoire toute en chansons.

Natalie Akoun

*******************

Quand Natalie m’a dit il y a 3 ans : « je me mets au piano », j’aurais dû avoir la puce à l’oreille. Puis, il y un an quand elle a recommencé à prendre sérieusement des cours de chants avec Vincent Leterme, j’aurais dû me méfier…Puis quand elle a rencontré Laurent Valéro, j’ai senti que ça devait arriver. Alors quand elle m’a dit ensuite qu’elle imaginait un spectacle plein de chansons finalement, je m’y attendais. « Mon âge d’Or » (c’est donc le spectacle) était un machin bizarre, inclassable, fait de textes introduisant des chansons, ou le contraire, des chansons qui jalonnent l’histoire d’une femme qui raconte, pleine d’amour et de passion, son désir de théâtre, de musique, de vie d’artiste, accompagnée de deux musiciens. Et puis quand nous avons commencé à répéter, avec d’abord Vincent au piano, puis Laurent plus tard avec son violon, une évidence est apparue, il s’agissait d’une comédie musicale. Une comédie musicale où une femme nous faisait le récit d’une vie, simple mais remplie d’espoir et d’amour. La scène : c’est chez elle, et dès lors, les musiciens ne sont plus des accompagnateurs, mais des personnages faisant partie de l’histoire. En convoquant ses souvenirs, en commençant à chanter seule, à cappella après avoir rangé quelques affaires, elle les invite et les entraine à participer à son récit, à devenir ses complices. J’ai toujours pensé que les chanteurs n’avaient besoin que de leur corps comme décors, que seuls les éclairages étaient nécessaires à leur performance. Un peu comme les clowns, ou les solistes. C’est pour cela qu’en pensant la mise en scène nous avons décidé de nous passer de décors, à peine quelques éléments, un tabouret de couleurs différentes selon les époques (des périodes roses, jaunes, dorées), une valise, un porte manteaux, nous suffisent à imaginer le petit intérieur de cette femme…Et un piano demi-queue ! Un piano demi-queue sur un petit plateau, c’est un peu comme un éléphant endormi en lieu et place du mur séparant Pyrame et Thisbé : ça prend toute la place et ça ne bouge pas ! C’est donc lui le personnage central puisqu’il s’impose. On ne peut pas le cacher, alors il sera l’élément principal de l’espace. Il sera tour à tour lit, petite piaule, table, bar… Un petit théâtre en somme…Au gré des évocations. Eclairé avec finesse et talent par Pierre Peyronnet. Quelquefois, des sons de villes, de métro, des voix marquantes se feront entendre. Ce sera la seule concession au son additionnel. Le reste des ambiances sonores sera musical et pris en charge entièrement par les musiciens. Le travail le plus délicat a été celui de l’interprétation. Délicat non pas parce que difficile mais parce que nous recherchions une certaine délicatesse, une finesse en un mot un raffinement. Il fallait trouver une convention, un code de jeux qui permette la plus grande liberté possible pour passer du parler au chanter, du dialogue entre les musiciens et l’actrice et les adresses au public…Etc.  Nathalie s’est donc transformée en maçon au cours des répétitions, détruisant et reconstruisant en permanence ce fameux quatrième mur (que franchit allègrement au tout début Laurent et son violon en apparaissant du fond de la scène pour disparaître dans la salle ; comme un indice de ce qui va suivre). Cette liberté de l’artiste, c’est celle qui permet toutes les audaces. J’ai insisté sur un point qui m’a semblé primordial : La légèreté. L’écueil du récit de souvenirs est de tomber dans une mélancolie suscitant une émotion poisseuse. En écoutant Natalie (son personnage de fiction) chanter et jouer devant moi, je voyais une femme qui certes nous parlait de son passé comme d’un refuge,  mais pour s’en libérer. Et pour cela il fallait qu’elle s’amuse de son histoire, qu’elle en fasse une comédie où elle regarde derrière elle en souriant, qu’elle voit la jeune fille qu’elle était avec tendresse et amusement, pour que le miroir de sa vie qu’elle nous tend ne reflète pas un paradis perdu. Ainsi nous avons trouvé (je pense) le ton juste de la nostalgie jubilatoire qui libère, qui apaise, qui rend le présent plus léger. Et puis, si quelquefois une larme affleure au coin de l’œil, ce n’est pas un drame, c’est une manifestation physique du passé, la preuve que l’on partage avec le personnage les mêmes souvenirs. Et je pense modestement que l’histoire simple d’un individu simple, qui raconte simplement sa vie, et parce qu’il n’y a rien de plus difficile à réussir que cette simplicité, et bien lorsque ces ingrédients sont réunis, c’est notre reflet. Son histoire devient alors la nôtre et peut nous aider à comprendre qui nous sommes et ce que nous sommes.

 Olivier Cruveiller

BERLIN 33

Londres, 1939
Je vais conter l’histoire d’un duel.
C’est un duel entre deux adversaires très inégaux : un Etat extrêmement puissant, fort, impitoyable – et un petit individu anonyme.
L’Etat, c’est le Reich allemand ; l’individu, c’est moi…

Ainsi commence le livre-témoignage de Sebastian Haffner Histoire d’un Allemand – souvenirs 1914-1933.
J’ai adapté pour le théâtre, sous forme de monologue, la deuxième partie de ce livre, celle consacrée à l’année 1933 et à l’arrivée au pouvoir de Hitler. Cette adaptation a pour titre Berlin 1933. Les résonances de ce texte avec ce que nous vivons aujourd’hui dans nombre de pays menacés par la montée de l’extrême droite sont saisissantes. Il y a urgence, nous semble-t-il, à faire entendre la parole vive de Sebastian Haffner.
Écrit en 1939, alors que son auteur, fuyant le régime hitlérien, se trouvait en exil à Londres, ce texte nous invite aujourd’hui à une réflexion éthique et politique. Face à la violence généralisée, à la haine de l’autre, au mensonge et à la manipulation, aux forces délétères qui traversent notre monde, comment imaginer de nouvelles raisons d’être et d’agir ?

René Loyon

*********

En 1938, Sebastian Haffner se place dans la perspective de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « lanceur d’alerte ». Il attend encore de l’Europe une prise de conscience qui lui permettrait d’adapter sa réaction à la menace du nazisme. Et, comme pour nous faire mieux comprendre l’ascension d’Adolf Hitler, il nous la décrit à hauteur d’homme, d’enfant même – puisqu’il débute son récit avec la déclaration de guerre de 1914, alors qu’il n’est lui-même âgé que de sept ans. Il montre l’intrusion insidieuse du politique dans la vie quotidienne et la sphère privée. A l’analyse historique d’une grande lucidité, Sebastian Haffner mêle son ressenti, ses émotions d’enfant et de jeune homme. Et c’est précisément ce qui nous place avec lui au cœur de la tourmente, nous donnant – comme il a pu l’avoir sur l’instant – une compréhension intuitive autant que cérébrale des événements. C’est aussi ce qui fait chair pour l’acteur et permet de faire de ce texte un objet théâtral.
Comment, dans un contexte miné par la crise économique, un homme apparemment sans envergure, tel que « la plupart de gens qui l’ont acclamé en 1930 auraient probablement évité de lui demander du feu dans la rue » a pu mettre à sa botte « le peuple allemand, qui ne se compose tout de même pas exclusivement de poltrons » et lui imposer son projet démentiel « qui est une nouveauté dans l’histoire universelle. Il s’agit d’inoculer systématiquement à un peuple entier – le peuple allemand – un bacille qui fait agir ceux qu’il infecte comme des loups à l’égard de leurs semblables ou qui, autrement dit, déchaîne ces instincts sadiques que des millénaires de civilisation se sont efforcés d’éradiquer. »

Laurence Campet

EL PRESIDENTE COLACHO

C’est en 1934 que le poète a écrit cette satire des présidents de l’Amérique qu’on appelle Latine, mais le temps nous démontre que la différence est mince entre les présidents de là-bas, d’il y a un siècle, et les présidents contemporains du monde entier.
Pouvons-nous alors critiquer « les autres » sans nous livrer à notre propre censure ?

En savoir plus

 

 

 

BRITANNICUS

« Néron est l’homme de l’alternative ; deux voies s’ouvrent devant lui : se faire aimer ou se faire craindre. »

Roland Barthes

Agrippine, mère de Néron, s’aperçoit que ce prince qu’elle n’avait élevé au trône que pour régner sous son nom, est décidé à gouverner par lui-même. Ambitieuse et affamée de pouvoir, elle consent à marier Junie à Britannicus, fils de l’empereur Claude, son premier mari, et frère adoptif de Néron, dans le but de se concilier l’affection de ce jeune prince et de s’en servir au besoin contre Néron…

Il ne faut pas plus de quelques vers à Racine pour poser l’intrigue et ses personnages : une famille disloquée, que le public surprend en plein trauma, avec un empereur fuyant, et sa mère, qui reste sur le pas de sa porte.

Il s’agit ainsi pour Néron non pas d’échapper à l’amour castrateur de sa mère mais de lutter contre le pouvoir qu’elle entend continuer de lui imposer. Néron n’est pas d’emblée le tyran sanguinaire que l’on connaît par la légende. C’est un jeune empereur apprécié du peuple, qui n’a pas encore brûlé Rome ni tué sa femme, ni encore sa mère.

Ça viendra pourtant… Cette enquête autour de la nature humaine, qui convie sur le champ de bataille passions amoureuses et ambitions politiques, est un condensé intense et radical d’une société éteinte, mais dont les nombreux échos nous parviennent encore…

ET MOI ET LE SILENCE

« Comme si tous les Cieux étaient une Cloche,
Et l’Être, rien qu’une Oreille
Et Moi, et le Silence, une Race étrange
Naufragée, solitaire, ici. »

Emily Dickinson Je perçus des Funérailles, dans mon Cerveau.

La jeune Jamie et la jeune Dee, l’une Noire, l’autre Blanche, se rencontrent en prison quelque part dans les États-Unis des années cinquante. Naît entre elles une amitié, une complicité, une envie de poursuivre la route ensemble. Elles se rêvent en domestiques, s’entraident, répètent fiévreusement leurs rôles de bonnes à tout faire. Quelques années plus tard, elles partagent le même logement sordide. Leurs rêves, si modestes qu’ils aient été, se sont heurtés au mépris de classe et à la ségrégation.

Par des allers-retours entre les deux époques, Naomi Wallace donne à cette relation impossible la forme d’un miroir brisé.

Il y a dans l’œuvre de Naomi Wallace, certainement aujourd’hui une des plus grandes autrices du théâtre américain, une tonalité singulière. Son théâtre a clairement une dimension de critique sociale fondamentale : il s’agit toujours pour elle de pointer sans relâche les violences, les injustices criantes, qui sont celles de l’Amérique contemporaine ; Et moi et le silence ne fait pas exception à ce souci premier. Naomi Wallace y dénonce la brutalité des rapports de classe, le racisme obsessionnel qui marque encore à maints égards la société américaine.

Mais cette nécessaire dénonciation ne relève pas d’un projet politique par trop sommaire où le slogan et le catéchisme tiendraient lieu de béquille. Dominique Hollier, l’excellente traductrice de Naomi Wallace, écrit ceci : « Naomi Wallace part des corps pour décrire le corps social ». Il y a une tendresse extrême, une empathie constante dans la façon dont l’autrice met en scène Jamie « l’Afro-américaine » et Dee « la Blanche ». Dures au mal, violentes, mais profondément émouvantes dans leur désir encore teinté d’enfance de donner un sens à leur vie, d’échapper à la pauvreté, d’être « quelqu’un » dans un monde où tout les condamne à n’être rien.

Il y a chez Naomi Wallace une attention à la détresse de l’autre, il y a aussi une musique ou une musicalité particulière dans son écriture. On est, dès la première lecture, saisi (et la traduction de Dominique Hollier joue là un grand rôle) par la limpidité de la langue, et dans un même temps, par une sorte de fantaisie, de goût de la cocasserie, un quelque chose qui relève du charme de la comptine enfantine. C’est ce mélange qui fait la grâce, la poésie, de cette œuvre singulière.

En outre notre autrice mêle de façon troublante les temporalités dans lesquelles évoluent ses deux personnages : on passe sans transition des scènes du passé – qui se déroulent en prison – aux scènes du présent, neuf ans plus tard, qui se déroulent « dans une petite chambre presque vide, dans une ville, quelque part aux États-Unis ». Mais c’est précisément cette façon d’articuler un indispensable réalisme à une dimension presque onirique et une inquiétude existentielle toujours présente qui donne à ce théâtre un charme si prégnant loin de tout plat naturalisme. C’est aussi ce qui rend l’entreprise de mise en scène particulièrement stimulante.

René Loyon

LES VITALABRI

Les Vitalabri n’ont ni patrie ni pays. On pourrait croire qu’ils sont chez eux partout mais personne ne veut d’eux nulle part. Derrière leurs frontières infranchissables, ceux qui sont nés quelque part refusent de les accueillir. Sans abri, sans papiers, avec comme seuls biens leur musique et la liberté, les Vitalabri continuent leur errance.

Une très jolie réflexion sur l’exil, la famille, le rejet d’un peuple voyageur et mal aimé. Madame Vitalabri voudrait aller « là où on aime les Vitalabri », seulement ce lieu n’existe pas. Pour franchir la frontière, le passeur leur demande de l’argent mais ils n’ont « pas un sou. Pas un radis. Pas un kopeck. Pas un liard ». Embarqués par « des uniformes, bâtons levés », jusqu’à la préfecture, ils finiront expulsés. Comme toujours.

Aujourd’hui, des milliers de personnes fuient leur pays. C’est l’exode la plus importante depuis la seconde guerre mondiale et avec elle, le rejet de l’autre.

Il faut traiter en même temps tous les racismes, répondre aux barbaries par nos coutumes civilisées :  l’éducation des enfants, l’égalité, la langue, la mémoire.

Combattre l’antisémitisme, la xénophobie, par une méthode active : le théâtre.

Ce spectacle s’adresse tout particulièrement aux jeunes de 11 à 15 ans, il leur parle

avec humour de l’apprentissage de la différence, de la curiosité de l’autre, et comment se dessine l’imaginaire de l’étranger.

L’espace pour raconter cette fable sera inspiré par le monde de l’enfance avec ses trappes et ses apparitions magiques. Au fil de leur voyage, la famille Vitalabri fait la rencontre de multiples personnages incarnés par les acteurs et leur double en marionnettes. Inventive et poétique, l’histoire se jouera rythmée par la musique et les costumes fluorescents afin de composer un spectacle joyeux, inquiétant et féerique.

La musique et la liberté sont les personnages centraux de cette fable des exilés. La sensibilité de Eric Slabiak me paraissait évidente pour composer cette musique de l’errance. La famille de musiciens joue berceuse sur berceuse, ils marchent et marchent, leurs chansons remplissent le paysage. On entendra violon, banjo, guimbarde flûte et mirliton, moins lourds à transporter que le piano…

******
Extraits de texte 

« Connaissez vous les Vitalabri ? Non ne cherchez pas sur une carte ni sur une mappemonde, il n’y a pas de pays Vitalabri. Les Vitalabri sont chez eux partout et nulle part, surtout nulle part. Certains disent qu’ils n’aiment pas les Vitalabri parce que ceux-ci ont le nez pointu, et ceux qui ont le nez pointu, eux, n’aiment pas les Vitalabri parce qu’ils trouvent leur nez trop rond.
On n’aime pas non plus les Vitalabri parce qu’ils sont trop grands, beaucoup trop grands, ou trop petits, beaucoup trop petits, ou trop moyens, beaucoup trop moyens, c’est moche.»
« Arrêtez la musique  ! Plus de musique, plus de berceuses, plus, plus de musique !
Ici, dans ce merveilleux pays qui vous accueille aujourd’hui si généreusement, il n’y a absolument plus de place pour la musique et les musiciens ! Nous avons trop de musiciens vitalabrais, et pas assez de Schnellbunker specialisés.
En quoi ?
Quoi en quoi ?
Spécialisés en quoi ?
En tout.
Qu’est-ce que vous savez faire ?
Moi du violon.
Aaaah !
Et moi du Ukulélé souffla un des petits
Aaah !!! Non, non, non, non ! Vous devez avoir un métier, un vrai métier. »

********
Extraits de Presse

La mise en scène de Lisa Wurmser réjouit petits et grands. Un délicieux spectacle qui enchante et parle de situations graves qui ne sont pas sans évoquer le sort des migrants aujourd’hui.
Armelle HELIOT – Le Figaro – 14 juillet 2016

Sur un tel sujet, le risque est le prêchi prêcha moralisateur. Avec le duo Grumberg/Wurmser, le danger est évité avec l’aisance du coureur de 3000 steeple franchissant sa première haie. Il y a du Chagall dans cette oeuvre où la gravité du propos n’interdit ni l’humour, ni la poésie, ni la berceuse. La pièce tient du conte magique avec son happy end, comme dans les histoires pour enfants, où tout se termine bien même si l’on sait qu’il ne peut en être ainsi dans la vraie vie. Mais qu’importe, il faut aussi apprendre à rêver, ne serait-ce que pour oublier l’insupportable.
Jacques DION – MARIANNE – Juillet 2016

Olga Grumberg (Madame Vitalabri), Pascal Vannson (Monsieur Vitalabri), Eric Slabiac – le fils violoniste et auteur des subtils arrangements musicaux, Pascale Blaison pour la pertinence de ses marionnettes, sous la direction de Lisa Wurmser, forment la talentueuse coalition qui fait des Vitalabri un rare et magnifique moment de théâtre. Au passage ils nous rappellent que Jean-Claude Grumberg est un de ceux qui inventèrent le rire de résistance qu’il pratique ici avec tendresse et malice.
Dominique DARZACQ – WEBTHEA – Juillet 2016

Des marionnettes à taille humaine et des ombres chinoises peuplent cette fable qui fait la part belle à la musique et qui fait référence à l’histoire, à Albert Einstein et à la musique. On rit beaucoup, et on admire le remarquable travail des artistes qui touche enfants comme adultes avec intelligence et une simplicité lumineuse.
Artistik Rezo, Hélène Kuttner

Quatre acteurs, un violoniste, des marionnettes et un conte admirable, à la fois puissant et malicieux, écrit par Jean-Claude Grumberg… Une histoire de réfugiés, vieille comme l’homme et toujours actuelle, propre à ravir les vrais enfants et l’enfant qui vit encore en  nous.
Le Canard enchaîné, 13 juillet 2016

Très finement, toute la puissance de l’œuvre résonne dans la mise en scène bourrée d’idées qu’en propose Lisa Wurmser. Il y a de la musique, des chants, des figurines, des chapeaux, des masques… et beaucoup d’espérance aussi. Car pour ces Vitalabris, tout finit par des chansons. Pour ceux-là…
Théâtral Magazine, François Varlin 

LE DUEL

Le Duel est une nouvelle initialement publiée en 1891, sous forme de feuilleton, dans la revue russe Temps nouveaux. De façon inédite dans son oeuvre, Tchekhov situe l’action sur un bord de mer du Caucase. C’est à la fois un lieu d’exil qui exacerbe les passions et une terre sur laquelle se projettent des utopies contradictoires. Si dans un premier temps, Le Duel s’apparente à une nouvelle idéologique, elle n’en reste pas moins une histoire d’amour, construite comme une pièce de théâtre et un roman policier. Elle met en scène deux héros que tout oppose : un scientifique darwiniste, raide de certitudes et un homme du siècle, un jeune homme indolent qui se laisse vivre, joue aux cartes et vit dans le mensonge. Un vrai duel va avoir lieu mais les deux hommes finissent par se rapprocher, changer d’avis l’un sur l’autre et mettre en cause leurs systèmes de pensée respectifs. Ainsi aucune vérité ne triomphe, aucune théorie ne l’emporte, aucune résurrection n’intervient mais la vie finit par changer les êtres et deux hommes destinés à se tuer se disent finalement adieu, de loin, sous une pluie fine. Davantage que le choc des idées, c’est cette pluie fine qui intéresse Tchekhov, dans laquelle se dissolvent les certitudes que nous prétendons opposer aux énigmes de la vie.

LÀ-BAS, chansons d’aller-retour

Deux sœurs, deux voix, un seul chant, ancré dans les petits trésors populaires des artistes déracinées.

L’Histoire des Diseuses est liée à l’exil, à l’histoire des flux migratoires, au « parlé- chanté » avec lequel elles ont porté la parole des femmes : Bien avant nous, Polaire ou Eugénie Buffet, entre Tlemcen et Marseille, sont les premières Diseuses pieds-noirs. À Cuba les Sœurs Faez créent la Trova familiale avec la forme des ida y huelta (aller-retour). Les Sœurs Abatzi s’exilent de Smyrne au Pyrrhée où les cabarets enfumés retentissent de haschich songs … Entre deux cultures, entre deux mondes, entre mot dit et mot chanté, la Diseuse telle que nous allons l’évoquer, est un modèle féminin de force et de courage, un levier pour les enjeux de notre monde actuel, la parité, l’égalité entre les sexes, une diversité culturelle.

« C’est l’exil qui a déterminé toute ma vie, entre deux cultures. Mon travail est un travail de séparation. De l’exil je suis passé à l’ex-il, quelque part entre la réalité et l’imaginaire, entre le connu et l’inconnu, là commence la poésie. » Mata (peintre Chilien)

ANTIGONES 2020

Antigones 2020  d’après l’Antigone de Sophocle

Antigone, contrôlée, interdite, emmurée vive, dit NON  ! Non à un pouvoir de surveillance autoritaire, qui lui défend de voir son frère mort et lui interdit de l’enterrer.

Surgissement tragique d’Antigone, il y a 2500 ans. Dans la pièce écrite par Sophocle. Elle dit NON à Créon, son oncle qui gouverne. Ses deux frères se sont entretués pour la conquête du pouvoir. Le corps du premier, celui qui a été conforme au droit, reçoit tous les honneurs  ; le corps du second, le corps du traitre, va être abandonné aux vautours. Antigone s’élève contre la loi édictée par Créon. Elle dit NON à Créon. Elle dit NON à Ismène, sa sœur, qui vient la rejoindre «  trop tard  » dans son combat : « Tu as choisi la vie, moi, je préfère mourir. »

Emmurée vive. Antigone, emmurée et condamnée à être nourrie jusqu’à la mort. Nourrie et enfermée. Enfermée pour qu’elle subisse, à chaque seconde des années qui lui restent à vivre derrière des murs, le désespoir de l’isolement. Avec la mort, pour seul projet. Elle se pend dans son cachot, et son NON continue de hurler à travers le temps, jusqu’à nous…

Effroyable symétrie. Symétrie de rébellion face à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire. Antigones 2020. Symétrie au temps présent. Délivrer celles et ceux qui sont reclus, cloîtrés dans les Ehpad par ordre politique. Les hommes âgés partagent le sort des femmes âgées emmurées vives. Ceux qui n’ont plus la force physique de dire NON, écroués. Agonie du temps présent. Emmurés dans des établissements de protection  : serrures changées, fenêtres bloquées. Symétrie de mise à l’isolement. Pour sauvegarder la vie…

Interdiction aux proches de voir leurs morts. Symétrie de l’interdiction de les accompagner. Rungis transformé en morgue géante. Les marchés frigorifiques pour la viande animale transformés en chambres mortuaires pour les humains.

Interdiction du suicide. Interdiction du suicide assisté. Mise en captivité de ceux qui n’ont plus la force de s’évader. Pour les garder en vie. «  L’État est, par nature, vorace et totalitaire…  ». Symétrie du pouvoir autoritaire sur la vie et sur la mort des citoyens.

Violences infligées aux soignants. Il faut choisir. Entre les vivants. Lesquels va-t-on sauver  ? Les plus jeunes, ceux qui pourront résister ? Ou les autres, déjà en fin de vie, qu’on peut mettre à l’isolement  ?… Symétrie de choix guerriers.

Alors  ? Y a-t-il encore quelque chose d’Antigone en nous  ? Ou le NON qu’elle hurle depuis des siècles s’est-il définitivement éteint  ?

Antigones 2020, trois femmes aujourd’hui, qui portent, chacune en elle, une part d’Antigone, plus ou moins grande, plus ou moins étouffée. Qui s’interrogent sur leur capacité de résistance. Sur leur capacité à dire NON. Elles vont jouer la pièce de Sophocle, comme une liturgie contemporaine qui interroge le texte phare de la rébellion… Elles vont interpréter tous les rôles, comme on le faisait dans l’antiquité, quand il n’y avait que trois acteurs, et quand le choeur représentait la cité, la « polis, la cité-État, composée d’une communauté de citoyens libres et autonomes, la cité qui était une structure humaine et sociale et non une organisation administrative »…

Trois représentantes des forces qui composent cette cité-État. Trois figures constituant les êtres humains qui vivent en république  : la vie, Ismène, la mort, Antigone, et le pouvoir, Créon, dont la femme Eurydice est le porte-parole. Cet État composé «  d’animaux politiques,  réunis par le choix de vivre ensemble, pour bien vivre, une vie commune assurée par la justice, vertu politique par excellence  »…

Antigones 2020, trois femmes face à la rébellion, au NON immémorial de l’Antigone de Sophocle, et à la gestion inhumaine d’une pandémie planétaire…

Laurence février. Mai 2020

***************

Les Antigones de George Steiner.
(Folio Essais. Gallimard)
Au micro d’Alain Veinstein, France Culture, « La nuit sur un plateau », 01/01/1986.
(Verbatim)

George Steiner : En 68/69, j’ai vu des photos de jeunes femmes, sur les barricades, à la Sorbonne, à Frankfort, à Berlin, mais surtout en Irlande, des jeunes femmes qui disaient « NON » ! À la vie ! Et à la survie ! Elles voulaient risquer l’absolu. J’avais eu l’idée, le projet, de faire quelque chose sur le symbole, le personnage de Saint-Just, dont le nom même hante/ le nom même est un manifeste. Ce groupe d’êtres humains qui disent : « je ne suis pas prêt à attendre la justice de Dieu, c’est lundi prochain à 11 heures 30, le matin, qu’il faut que le royaume de la justice se fasse sur terre ! C’est pas lundi après-midi, c’est lundi matin, à tout prix ! ». J’ai commencé à travailler ce thème des Antigones, sans encore préconiser sa richesse inépuisable. Puis petit à petit, quand on a su que je travaillais sur ce thème, par des conférences, par des essais, les Antigones ont afflué du monde entier. Et elles continuent à affluer, le livre est déjà périmé, il y a, depuis sa publication, dix nouvelles, vingt nouvelles, pièces, poèmes, romans, de l’Amérique centrale où on enterre vivant, attention ! De l’Asie, il y a une Antigone souterraine, on dit qu’il y a une Antigone qui va sortir du monde de Pol Pot, des grands massacres du Sud-Est de l’Asie. Et je me suis rendu compte que là, il y avait un thème absolument universel, beaucoup plus universel que le complexe d’Oedipe, qui est essentiellement occidental. N’en parlez pas dans les cultures où il n’y a pas la famille nucléaire, ni patriarcale, ça ne marche pas du tout. Les Antigones, ça marche partout.

Et un jour même, j’apprends – c’est là que j’ai commencé à écrire mon livre – je lis, que les corps de Baader et Meinhof ont été mis dans la chaux vive, les familles ne les ont pas reçus, et que l’État  allemand, démocratique après tout ! L’État dit : « on regrette, mais on ne peut pas risquer qu’il y ait un culte des morts ». Ce sont les vers mêmes que dit Créon, c’est presque littéral, les mêmes mots  que ceux qui allaient venger ce refus, quand ils ont en signé leur manifeste « Les Antigones rouges ». Ça a été pour moi/ j’ai dit « bon, on se met au travail ! ». Parce que, si vraiment ce mythe est une sténographie politique, une sténographie de l’inconscient, pour toutes les cultures et depuis des millénaires, ça vaut la peine d’en tracer l’évolution, la philosophie et la poétique. C’est un peu ça, l’origine de ce livre.

Alain Veinstein : Ce qui frappe évidement dans le titre, c’est le pluriel, « Les Antigones »…

George Steiner : Mais il est inépuisable. Il y en a des centaines et des centaines. Et voyez-vous, le mythe grec, c’est une base immédiatement connue, avec une liberté infinie de variations. J’irais plus loin, je voudrais, peut-être avec d’autres écrits, proposer, discuter, approfondir l’hypothèse – ce n’est qu’une hypothèse très préalable -, l’hypothèse que le schéma, thème et variation, n’est pas seulement un schéma formel dans notre littérature, mais que ce schéma fait partie de l’organisation du cerveau. L’hypothèse que nous sommes une machine avec une certaine économie de thèmes fondamentaux, et que nous les varions et re-varions à l’infini. Que cette structure, on parle d’un mythe, d’une légende, d’une image, d’une rencontre, pour la varier à travers les millénaires, et pour revenir à la base, qui appartient à la structure même de notre perception.

Alain Veinstein : Et avec Antigone vous avez pu, vous, réaliser un projet que vous aviez depuis longtemps, qui était de mener à bien une étude où seraient fondus le poétique et le politique ?

George Steiner : Absolument, je ne peux pas les séparer, tout poème est un acte politique, tout refus du poème est un acte politique. Mais dans la tragédie grecque, nous avons l’avantage énorme/ que nous avons un peu perdu, de situer même l’inconscient dans la cité, dans la « polis », comme on dit en grec. Si vous voulez, mon différent – très respectueux – avec la psychanalyse, c’est précisément l’isolement de l’inconscient, l’inconscient aussi, non pas seulement « une structure langagière » comme dirait Lacan,  l’inconscient fait partie de la politique, de l’action, et les Grecs le savaient.

Alain Veinstein : Alors les Grecs, et en particulier Sophocle, puisque Antigone nous renvoie à Sophocle, qui est l’auteur de sept tragédies, alors pourquoi le destin particulier de celle-ci ?

George Steiner : Parce que je crois, que elle seule, cette tragédie groupe les cinq axes éternels de conflits : les jeunes contre les vieux, les hommes contre les femmes, l’État  contre l’individu, la mort contre la vie, et le mortel contre les dieux. Dans d’autres tragédies, nous avons deux ou trois de ces axes. La chose époustouflante, c’est que dans une pièce infiniment limpide et concentrée, très courte, une pièce qui fait à peu près un acte d’un Claudel, et qui est d’une économie totale, nous avons les cinq grands conflits qui sont éternels, qui sont les archétypes du conflit. Toujours les jeunes diront aux vieux « on en a assez », toujours les femmes diront à l’homme « ça ne va plus, nous t’avons engendré, porté dans notre giron, et dans notre bras, nous n’allons plus accepter le massacre, la destruction de la ville », toujours l’État voudra mettre son emprise même sur les morts, l’État est, par définition, vorace et totalitaire. Toujours il y aura, pour trop d’êtres humains et particulièrement pour les jeunes, cette fascination de la mort, du suicide. Et songez, qu’Antigone/ le reproche que lui fait Créon « toi, tu es amoureuse la mort »,  c’est un reproche très très grave. Il lui dit « ça, c’est trop facile, moi je dois vivre », c’est le thème d’Anouilh, même de Brecht et de tant d’autres. Et, le cinquième conflit, le plus problématique si on est vraiment athée, si on est entièrement positiviste, aujourd’hui on dira « non je ne comprends pas ce que signifie cette possibilité d’intervention par les Dieux, ou par Dieu ». Il y a encore beaucoup d’entre nous qui saisissent l’enjeu, et tout ça, concentré dans un texte d’une puissance et d’une beauté sans limites.

Alain Veinstein : Donc, le pivot autour duquel toutes les variations vont tourner, pendant deux mille ans, c’est le dialogue Antigone et Créon ?

George Steiner : Et le choeur, et la ville détruite par ce conflit. Parce que comme vous le savez, dans ce livre, je discute toutes les Antigones de 1940, l’époque Vichy, je discute récemment l’Antigone époustouflante de Bernard-Henri Levy, qui proclame qu’on a mal lu la pièce pendant 2000 ans, et qu’au contraire, l’homme sacré, c’est Créon, etc. Les interprétations ne cessent. Ce dialogue est un des moments de cristallisation de la condition humaine, il n’y a pas de doute. Il y en a d’autres, dans les grandes œuvres, dans la tragédie grecque, mais là, c’est d’une transparence presque/ presqu’insoutenable, d’une clarté ! C’est le couteau qui coupe, qui coupe au centre de notre humanité. »

L’ÉCOLE DES MARIS

Léonor et Isabelle, deux sœurs orphelines, se voient confiées à la mort de leur père à deux frères d’âge mûr, Ariste et Sganarelle. Ces derniers sont chargés par contrat de les élever, de les éduquer et enfin ou « de les épouser » ou « d’en disposer ».
Les tuteurs bien qu’ayant des conceptions opposées sur l’éducation nourrissent tous deux des espoirs envers elles… Avec Léonor, Ariste choisit l’école du monde et la voix de la liberté. Sganarelle, lui épie les moindres agissements d’Isabelle, l’enferme,  voire la séquestre.
Bien évidemment Isabelle tombe amoureuse. Elle va trouver en elle les ressources pour échapper au despote et rejoindre Valère.

Un théâtre qui convoque « des figures masculines ambivalentes». Sganarelle « l’arroseur arrosé » qui nous livre son désordre intérieur, Ariste qui défend « la tempérance », Valère « l’amoureux » initié par Ergaste, « l’expérimenté ».
Quant aux personnages féminins, ils sont d’une extrême modernité.
Isabelle déjoue un Sganarelle amoureux, aveuglé, infantile, Lisette dénonce les abus et les inégalités, Léonor exprime avec clairvoyance son libre-arbitre.
Une intrigue qui au final laisse le sentiment vrai l’emporter et mettre à mal la violence du pouvoir confisqué par les hommes.

Avec L’Ecole des maris, il en va du désir de raconter avec poésie la complexité des rapports amoureux mais aussi de mettre en résonance cette pièce de 1661 avec aujourd’hui témoignant du chemin qu’il nous reste à accomplir quant à la question d’équité entre la femme et l’homme.

« Tournant » dans l’œuvre de Molière, cette comédie en alexandrins aux allures de farce jubilatoire touche à des questions sociales et politiques et recèle une dimension existentielle et une force poétique.

Une partition théâtrale, chorégraphique et musicale pour 7 comédien.n.e.s.