Archives pour la catégorie se joue en Avril 2017

LES PIEDS DEVANT

Le spectacle :

Ce spectacle est une fresque musicale et poétique, dans laquelle se mêlent chanson, musique instrumentale, poésie et théâtre. Il s’agit d’une performance concertante qui porte un regard sur les jours suivant l’appel téléphonique d’un commissariat à une famille pour lui annoncer la mort de l’un de ses enfants dans un violent accident de la route, et s’étend jusqu’au jour de l’enterrement, où tout s’arrête brutalement.

La structure de l’œuvre est basée sur l’exact déroulement de ces faits et se veut attester de l’infernal déferlement qui happe chaque famille confrontée à la mort d’un proche. L’avalanche de problématiques, de décisions à prendre, toutes plus matérielles les unes que les autres. Le rythme de l’œuvre est un écho à ces quelques jours, un écho à la fois poétique et grinçant. Tantôt rock’n’roll tantôt précieux, tantôt profond, ce spectacle essaie de transcender ces moments difficiles, presque tabous, ceux sur lesquels on ne revient jamais… Aller reconnaître le corps de son enfant à la morgue, choisir une entreprise de pompes funèbres, un cercueil sont autant de sujets qui sont triturés ici, distordus par le prisme de la poésie, afin de les rendre acceptables.

De la pop, de la chanson, du jazz, du tango, de la musique contemporaine, voilà les ingrédients musicaux de cette fresque macabre mais pleine d’espoir et d’humour, qui nous emmène dans un univers pop, abstrait et poétique, mais surtout salvateur.

NOTRE CLASSE

En discret dialogue avec Kantor, quatorze leçons pour une histoire, celle de la vie de dix camarades de classe, juifs et catholiques, de 1929 à 2003, des bancs d’école à nos jours. Ils grandissent, entrent dans la vie adulte ensemble, deviennent les acteurs et témoins des évènements traumatisants du XXème siècle. À travers l’histoire tragique du village polonais de Jedwabne dont, en 1941, les juifs ont été massacrés par leurs voisins, l’auteur interroge les rapports ténus qui peuvent faire verser de l’amitié à la folie d’un meurtre collectif. Par-delà le bien et le mal, ce texte magistral traduit, avec ironie et rage, la quête éperdue d’une liberté et d’une humanité face à la politique et l’idéologie comme les déterminants de la vie humaine.

« Sur le plateau la communauté se décompose et se recompose. L’acteur se laisse traverser par un personnage, donne corps à un souvenir comme à son parcours intime. Une fanfare se fait et se défait. Les habits se superposent. Les baluchons se préparent… Les fantômes des disparus continuent à hanter le plateau. »
LA MONTAGNE, Édouard Papierski

« On ne sort pas indemne d’une telle représentation, tant ce texte est fort, profond, souvent dur, mais aussi empli d’une poésie intemporelle… Musique et bruitages, omniprésents, intensifient la dimension émotionnelle du texte avec justesse et intelligence. C’est une parole forte sur la réparation de la mémoire qui la fait résonner avec l’actualité.  Un texte sans concessions, joué par la compagnie  Retour d’Ulysse  au sommet de son art. »
http://projecteurtv.com/ J . Jarmasson

« Engagé, innovant et nécessaire »
Vaucluse matin

LILI

Lorsqu’on demande à Clarisse Nicoïdsky pourquoi elle a écrit Le Désespoir tout blanc, comment il s’est pu qu’elle écrive cela, elle répond simplement, flaubertienne, que c’est parce que Lilli, c’est elle. Or, Clarisse Nicoïdsky n’est pas hydrocéphale, ni trisomique… Elle n’est pas non plus « simplette », « attardée », « demeurée », comme on dit. Oh, non. Mais elle a, seulement, laissé parler – dans une langue qui place à mes yeux son roman parmi les plus beaux livres écrits en français au XXème siècle – l’idiote qui est en elle. En moi, en vous. L’idiote, aussi, que j’aurais pu être, qu’elle aurait pu être, que vous auriez pu être. L’idiote, encore, que vous êtes parfois, que je suis parfois, qu’elle est parfois.

C’est dire assez que le spectacle que nous proposons ce soir est une œuvre d’imagination, une œuvre « poétique », et que ce n’est qu’indirectement, c’est-à-dire dans ses seules retombées, qu’il prétend aussi témoigner, à sa manière, d’un état de fait, hélas bien réel, lui : la place si piètre laissée le plus souvent aux handicapés dans nos sociétés. Que cet état de fait constitue encore aujourd’hui en France un véritable scandale ne fait aucun doute à nos yeux, et si ce modeste spectacle peut aider, de quelque manière que ce soit, ceux qui luttent tous les jours pour donner ou rendre leur dignité à ceux-là d’entre nous qui ne peuvent pas ou plus la trouver seuls, il n’aura pas été vain.

Pourtant, il ne s’agit pas, par cette mise en scène, de rendre compte réalistement de cette réalité. De découper, comme pour la mettre en vitrine, une quelconque tranche de vie. Si nous ne sommes pas dans la méconnaissance, nous ne sommes pas non plus dans l’imitation : Catherine Berriane (Lili) ne singera personne. Il ne s’agira donc pas, pour certains, de « reconnaître ». Il s’agira plutôt, pour tous, de réfléchir.

Lili, idiote – toutes les idiotes, tous les idiots – est le grand refoulé de nos sociétés, c’est vrai ; pourtant, il nous a paru que « mettre en scène », poser purement et simplement sur une scène, ce « refoulé », nous aurait fait la part trop belle : de quel droit ? Où serait donc situé le théâtre, en quel paradis, qu’il puisse à sa guise se saisir du malheur d’une Lili et si facilement le poser sur sa scène, mécaniquement (c’est-à-dire sans s’inclure lui-même dans le procès d’une telle « mise » en scène, sans se reprendre lui-même et se retrouver par elle atteint) ?

Lili est aussi le refoulé de tout théâtre : on ne peut jouer Shakespeare ou Brecht, Marivaux ou Genet, que si l’on accepte d’oublier Lili, la « vraie » Lili. Le Désespoir tout blanc est certes la mise en spectacle de Lili, mais il se veut aussi, en creux, annonce du possible surgissement inattendu de Lili sur toute scène de théâtre, de la tache aveugle de tout théâtre possiblement visible soudain.

Car, d’avoir été tenue si longtemps pour invisible, Lili en était devenue visionnaire. Il va nous falloir entendre cette visionnaire.

Lili, idiote qu’elle est, mêle sans cesse « ce-qu’elle-pense » et « ce-qui-arrive » en une même mixture de langue et de temps. Le « je » de Lili, narratrice et personnage, est celui du roman. Mettre en scène cette idiote de Lili, c’est mettre sur la scène un personnage qui n’est que d’être en soi un roman. Mettre en scène Le Désespoir tout blanc n’est pas faire l’adaptation pour la scène d’un roman, mais, jouant sur les temps différents du récit au sein d’un même sujet, de mettre sur la scène un personnage-roman. Et cela seul est une aventure.

Comment le simple déchiffrement de ce qui se dit entraîne-t-il la transformation de ce qui voulait se dire. Et voilà, c’est un vertige, c’est-à-dire une scène : comment ce qui semblait seulement informatif devient soudain performatif, comment tout lecteur déplace, transforme ce qui est écrit, comment tout décryptage se fait lui-même écriture, comment tout texte à lire est un théâtre qui attend.

NATHAN LE SAGE

Le lieu ? Jérusalem. Le moment ? 1187, la troisième Croisade. Mais peut-être aussi : aujourd’hui, et partout. Même fond d’intolérance, même cortège de fanatismes religieux. Le sujet ? la rencontre, dans ce paysage de ruines qu’engendrent habituellement passions nationales et cris de « Dieu le veut ! », de trois hommes qui vont tenter les préjugés de leurs peuples : un Musulman (Saladin, maître de Jérusalem), un Juif (Nathan, un marchand riche et respecté) et un Chrétien (un jeune et fougueux Templier). Rencontre au sommet –au sommet de l’homme-, réponse à tous les fous de Dieu, d’hier et d’aujourd’hui. Poser les premières pierres de la famille humaine : l’utopie du XVIIIe siècle (la pièce date de 1779) s’est faite aujourd’hui urgence absolue. Barbarie ou civilisation, il faut choisir. Et le choix –c’est ce qu’affirme avec la limpidité de l’évidence la pièce de Lessing- commence d’abord par soi, en soi, dans sa relation à l’autre, le différent.

« Sur cette terre des miracles, tout est possible », dit un des personnages. Et ce n’est pas un moindre miracle que ce sujet brûlant et grave apparaisse ici sous la forme d’une comédie pleine d’action, de rebondissements et d’humour : une « folle journée », feuilleton romanesque et philosophie mêlés. Du vrai théâtre, incarné, simple, vivant. Miracle du Siècle des Lumières.

LE DERNIER CHANT

Après avoir monté Caligula de Camus, cette grande figure éprise de liberté et d’absolu, nous avons eu besoin de nous arrêter, de regarder autour de nous. Besoin de raconter des histoires de comédiens, de comédiennes. Faire silence et les écouter…

Nous avons tous des rêves et nous croyons en eux. Nous ne posséderons jamais la lune, mais nous pouvons croire en notre capacité de la décrocher.

Tchekhov connaissait bien les acteurs et les actrices. Beaucoup de ses nouvelles racontent leurs histoires. Nous avons choisi d’en adapter quelques-unes (Le Baron, Elle et lui), la pièce Le chant du cygne et les Correspondances avec Olga (des lettres entre Olga Knipper et l’auteur).

Nous suivons des itinéraires d’acteurs : leurs désirs, leurs rêves brisés, leurs moments de gloire, leur solitude, la peur de la vieillesse, la mort, … et peut-être l’oubli…

Des moments d’éternité ou l’absolu de l’éphémère.

Rien n’est donné d’avance, ni la grandeur, ni la petitesse. Le théâtre apparaît alors sous un jour qu’on lui reconnaît peu et qui pourtant lui est essentiel : sa fragilité et la fragilité de ceux qui le font.

Tout cela dans une pluie de paroles vertigineuses, souvent drôles.

Nous serons sur un fil. Au bord du rire.

Mélanie Pichot et Emmanuel Ray

AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Retiré dans la montagne depuis 10 ans, Zarathoustra ressent le besoin de redescendre parmi les hommes pour partager avec eux les richesses de sa pensée. Sur le chemin qui le mène à la ville la plus proche, il rencontre un vieil ermite. Au cours de leur bref échange, Zarathoustra se rend compte que le vieillard a consacré sa vie à Dieu. Aussi préfère-t-il s’en aller, stupéfait de constater que l’ermite n’est pas informé que « Dieu est mort ».

Ce thème central ouvre les voyages de Zarathoustra parmi les hommes. La mort de Dieu marque le point de départ de l’idée de surhomme que Zarathoustra se propose de leur révéler : Dieu n’étant plus la finalité de la volonté humaine, il faut que l’homme se fixe un but immanent qui passe par son propre dépassement, par la pleine réalisation, le plein devenir de ce qu’il est

Zarathoustra rencontrera bien des obstacles, il lui faudra surmonter bien des hésitations, faire bien des rencontres et prononcer bien des discours pour essayer de faire passer ce message, ce message qui nous concerne directement, nous hommes du XXIème siècle si nous voulons échapper et au lâche découragement qui nous guette plus que jamais et à l’utilitarisme dominant, plus lâche encore, de qui, faute de mieux, confond bonheur et confort, puissance et richesse, liberté et pouvoir d’achat.

JE SUIS VOLTAIRE…

D’où vient l’idée de faire un spectacle sur Voltaire ?

Traité sur la tolérance, je ne l’avais jamais lu. Je l’ai découvert sur une photo, celle de Xavier Testelin, après les attentats de janvier. On voit le Traité sur la tolérance déposé par une main anonyme sur un autel improvisé, au milieu des fleurs et des bougies. J’ai lu le Traité bien sûr, comme beaucoup, après ce choc. Je me suis rendu compte qu’en fait, je ne connaissais pas Voltaire. Voltaire était là, dans mon héritage, au rang des figures tutélaires, mais je ne le connaissais pas vraiment. Je me suis donc intéressée de plus près à tout ce qu’il a écrit, à cet esprit voltairien, qui a nourri l’esprit de la Révolution, qui a contribué à ce bouleversement en profondeur de la société. Aujourd’hui ce bouleversement, ces idées nouvelles sont un acquis, on vit ça comme un acquis, on dort sur cet acquis, on ne se pose plus de question. D’où l’envie de faire un spectacle sur l’esprit de combat qu’avait Voltaire.

Et donc, c’est un texte de Voltaire ?

Non, c’est un texte à propos de Voltaire. J’ai fait un atelier de recherche, pendant six mois, avec de nombreux comédiens. Nous avons traversé toute son œuvre. C’est gigantesque, c’est fascinant ! Mais que reste-t-il en nous de cet esprit de révolte ? Voltaire, c’est la figure du combat contre le fanatisme, dans le monde entier, mais nous, là, aujourd’hui, on fait quoi ? À travers lui, c’est notre relation au combat qui se pose.

Voltaire a beaucoup écrit pour le théâtre, une cinquantaine de pièces, et il n’y en a pas une qui raconte ce que vous voulez dire ?

Il a écrit Mahomet, une pièce sur le fanatisme, mais ce n’est pas cet aspect là que je souhaite interroger, c’est plutôt notre rapport à lui, à ce qui reste en nous de sa faculté de combat.

Et le siècle où il a vécu, le 18ème siècle, qu’est-ce que ça représente pour vous ?

C’est une époque fondatrice, une époque flamboyante, une époque très dure finalement, avec l’Inquisition qui a un pouvoir dévastateur, criminel. Et nous allons inventer la Révolution… On vit encore là-dessus, on parle des Droits de l’Homme dans le monde entier, mais nous, on en fait quoi ? Tout le 18ème siècle prépare la Révolution, c’est intenable, les gens n’en peuvent plus du pouvoir, absolu, tyrannique, de droit divin, avec l’Inquisition… donc il va y avoir un bouleversement mondial et nous allons être à la base de ce mouvement… en gros, on vient de là…

Qu’est-ce que raconte le spectacle ?

C’est une quête, c’est la recherche d’un état d’esprit, d’un esprit de rébellion. Il y a donc une journaliste qui part à la recherche de cet esprit voltairien et elle interroge plusieurs personnes à ce sujet. Y a-t-il quelque chose en nous de Voltaire ? Ou est-ce que c’est juste le nom d’un boulevard, d’une statue, d’un lycée ?

Quel est le lien entre Voltaire et les attentats ? Qu’est-ce que raconte le Traité sur la tolérance ?

Il analyse la montée du fanatisme et de l’intolérance dans l’histoire, le retour cyclique de ces fléaux. Il fait une analyse critique du fanatisme chrétien et de l’Inquisition. L’Inquisition qui avance main dans la main avec le pouvoir royal. L’Inquisition qui ne peut pas tuer puisqu’elle est catholique et chrétienne, d’où son alliance avec le pouvoir. Pour que le pouvoir tue à sa place. Pour que le pouvoir permette de tuer, pour que le pouvoir permette de torturer ! Comme exemple de fanatisme, on peut difficilement trouver mieux.

Et donc un lien avec Daesh ?

Oui, c’est un pouvoir qui tue au nom de Dieu, comme le faisait l’Inquisition. L’abolition de l’Inquisition, ce n’est pas vieux ! En Espagne, elle n’est abolie définitivement que depuis 1864…

Vous avez écrit le texte du spectacle ?

Oui, je l’ai écrit et j’ai aussi transcrit de «l’oralité», des propos qui sont dits aujourd’hui sur tous les sujets dont traite le texte. C’est une évolution par rapport au travail que je fais depuis 2002, sur «l’oralité» du théâtre-documentaire. Voltaire est très souvent cité dans le spectacle, mais il y a aussi ce qu’on dit ou ce qu’on pense aujourd’hui. « Lisez-moi ! » pouvait-on lire sous des dessins de lui, après les attentats, c’est cette spontanéité politique que je souhaite transcrire, j’espère aussi que ça donnera envie au public de le lire, de le relire…

Il y a un personnage qu’il s’appelle Ézéchiel ? C’est quoi le lien avec les attentats, Ézéchiel, Voltaire…

Voltaire lisait la Bible. Il critiquait le pouvoir de l’Inquisition mais il savait de quoi il parlait. Il lisait la Bible tous les jours. Quand il vivait avec Émilie Du Châtelet, tous les matins, ils faisaient une étude critique. Ce qui était absolument subversif : il était hors de question de faire une analyse critique de la Bible. C’est une chose que certains lui reprochent encore aujourd’hui… Ézéchiel, c’est un prophète « sacrificateur », effrayant ! Un tueur, à qui Dieu parle – en direct – des turpitudes de certaines de ses créatures humaines qu’il faut exterminer. Ézéchiel, il est envoyé par Dieu pour bousiller pas mal de gens…

Est ce que le spectacle est une sorte de mode d’emploi pour se battre ? Pour les jeunes… Pour se mettre dans un contexte de lutte…

Il n’y a pas que les jeunes qui doivent se battre ! Un mode d’emploi, non, c’est plutôt un questionnement sur notre capacité à lutter et à combattre certaines idées dominantes… Lui, quand il commence son combat pour Calas, il n’est pas jeune, il a soixante-cinq ans, il ne s’arrêtera pas, c’est la mort qui l’arrêtera, à quatre-vingt-quatre ans.

Qui pourrait être Voltaire actuellement ?

Personne ! Il faudrait quelqu’un qui soulève l’opinion de la Russie, de l’Amérique, de la Syrie, de l’Europe, et qui se battrait seul pour la tolérance, pour les réfugiés… Si on faisait un rêve ?

Donc Voltaire, vous l’invoquez ?

C’est une icône, j’ai préféré ne pas en donner une représentation, ce serait réducteur. Il a toujours vécu en exil, rejeté, mis en taule, repoussé, il était vécu comme insupportable par le pouvoir et par d’autres, et pourtant tellement célèbre ! Il a fui toute sa vie, sauf à la fin, avec son retour en triomphe à Paris, et chacun de nous à son idée de Voltaire, qu’elle soit juste ou pas. Je crois que l’imagination du spectateur est plus forte que toute représentation qu’on peut faire de lui…

Il y a deux parties dans votre spectacle, la première, c’est son grand amour pour Émilie Du Châtelet et la seconde, c’est son combat contre le fanatisme ?

Oui, la première partie évoque l’amour fou de ce couple mythique, Émilie Du Châtelet, c’est la femme de sa vie, il le dit « j’ai rencontré une âme pour qui la mienne était faite», elle va mourir à quarante-quatre ans… C’est un amour mythique : elle est aussi exceptionnelle que lui. La seconde partie du spectacle évoque ses combats, son combat contre l’Inquisition, au travers de l’affaire Calas, l’affaire du Chevalier de la Barre…

Vous citez Voltaire dans le spectacle : « Les femmes sont les égales des hommes, elles peuvent même leur être supérieures », il a tout de même écrit aussi que le seul défaut des femmes, c’est justement qu’elles soient femmes !

C’est de l’ironie… Il écrit ça juste après la mort de Madame Du Châtelet, cette mort qui l’a mené au bord de la dépression. Quand il dit qu’elle n’avait qu’un défaut : c’était celui d’être une femme, c’est le comble de l’ironie. Toute sa vie, l’ironie a été son bras armé, il l’a dit : « j’écris pour agir », pour attaquer le conformisme, la bien-pensance, la tyrannie…

Émilie serait le double de Voltaire ?

C’est complètement son double, il a trouvé son double. Il le dit tout le temps. Et en plus d’être l’amour de sa vie, Émilie Du Châtelet est sa partenaire intellectuelle, elle est la première scientifique française, elle va traduire Newton, elle lit le latin couramment, et elle va travailler avec Voltaire à la propagation des idées de Newton. Elle va traduire les lois de la gravitation et elle va en donner connaissance à la France, à l’Europe entière…

Newton écrit en latin ?

Le latin, c’était l’anglais d’aujourd’hui, la langue qu’on parlait et qu’on écrivait dans toute l’Europe, pour se comprendre. Donc Newton écrit Principia Mathematica, et pour bien le traduire, Émilie Du Châtelet apprend les mathématiques, elle apprend les algorithmes, elle devient extrêmement savante, et elle va comprendre les lois de la gravitation ! Mais c’est aussi une femme qui a un fort tempérament et qui prend pour amants ces savants avec qui elle apprend les mathématiques. On parle d’elle depuis le livre d’Elisabeth Badinter, mais elle n’a pas encore la notoriété qu’elle devrait avoir.

Donc elle existe en tant que personnage ?

Oui, elle traverse le temps pour venir nous parler de Voltaire et pour répondre à la journaliste qui veut faire un portrait d’elle. Elle et Voltaire formaient un couple de stars, on les observait, des témoins oculaires ont raconté leur vie privée, ils travaillaient tous les deux comme des brutes mais leur vie était réglée, après une journée de recherches scientifiques, ils faisaient du théâtre, ils rassemblaient tous les gens alentour, ils chantaient des opéras, ils apprenaient leurs rôles…

Il y a une jeune femme qui entre dans la salle, au début du spectacle, une jeune Française fanatisée ?

Elle intervient surtout dans la deuxième partie. C’est une jeune fanatique qui n’a pas pu aller au bout de sa mission, qui n’a pas réussi à faire un attentat. C’est une jeune Française, d’un milieu moyen, tout ce qui a de plus banal. J’ai beaucoup lu, beaucoup vu de vidéos avant de pouvoir représenter ce personnage, qui est une énigme… Comment germent ces idées dans la tête de ces jeunes gens ? Ces idées se développeraient parce qu’ils sont en manque d’idéal ? Comment peuvent-ils avoir un idéal de mort ? Croire à un idéal de mort ? C’est une énigme… Et pour moi, il y a une symétrie entre ces fanatiques de Daesh et les fanatiques chrétiens combattus par Voltaire.

Dans la seconde partie intervient un personnage qu’on n’a pas encore vu, le professeur émérite ?

Oui, la jeune fanatisée arrive pour être encadrée par le professeur émérite. C’est son tuteur. Je me suis inspirée des tutorats qui sont mis en place au Danemark, pour les jeunes gens qui reviennent de Syrie. Au Danemark, on fait des tentatives pour « déradicaliser » ces jeunes gens, par des moyens autres que la prison. Il y a donc des tuteurs volontaires, la police considère ces tutorats comme beaucoup plus efficaces et moins onéreux que la prison, avec un meilleur taux de réussite. Notre tuteur à nous, c’est un spécialiste de Voltaire, il est devenu professeur, parce qu’il est passé par l’Université de Vincennes, en 68, quand les travailleurs pouvaient entrer à l’Université sans avoir leur bac. Lui, à l’époque était camionneur et il a pu devenir historien… Sa vie personnelle fait qu’il est particulièrement touché par les dégâts du fanatisme, il a donc entrepris ce tutorat, pour participer à la « déradicalisation » de ces jeunes gens.

Vous m’avez parlé de l’Ézéchiel de la Bible et de Voltaire, mais pourquoi y a-t-il un personnage qui est un ange et qui s’appelle Ézéchièle, au féminin, dans le spectacle ?

Je me suis inspirée du conte de Voltaire : Le monde comme il va, où l’ange Ituriel est envoyé par Dieu pour voir s’il va engloutir Babylone afin de punir les hommes de leurs turpitudes. J’ai imaginé un mixte féminin fantastique, c’est un ange féminin, une « Ézéchièle », qui s’incarne dans la réalité, et qui vient rencontrer les humains : c’est l’assistante de la journaliste. Elle a tous les droits, elle est en relation directe avec le ciel, tout en étant terriblement humaine, va-t-elle dire à Dieu qu’il faut nous engloutir ?

En fait, c’est la journaliste qui provoque la rencontre de tous ces personnages ?

Elle est comme la majorité des Français, elle n’avait pas lu le Traité sur la tolérance avant qu’il ne devienne un best-seller, après les attentats de janvier 2015, et elle décide de partir à la découverte de tout ce qu’elle ne sait pas de Voltaire. Et puis elle fait une série de portraits de femmes remarquables, Émilie Du Châtelet en est une !

Il y a ce personnage qui ouvre et qui ferme le spectacle ?

Oui, c’est un jeune homme qui vient d’obtenir la double nationalité, un Franco-Algérien, lui aussi est historien et traducteur. Ce jeune homme a un grand projet : traduire toute l’œuvre de Voltaire en arabe, ce qui n’a pas encore été fait. Comme Émilie Du Châtelet qui traduit Newton pour diffuser son œuvre, il veut diffuser la pensée de Voltaire en traduisant tous ses textes en arabe…

Le texte qui clôt le spectacle est un hymne à la nature ?

C’est le dernier texte du Traité sur la tolérance. On dirait un texte prémonitoire, Voltaire conseille aux hommes d’être tolérants entre eux, mais aussi avec la nature, de la respecter, au risque de voir tout s’effondrer, s’ils la saccagent… «C’est moi, la nature, seule, qui, dans une nation, arrête les suites funestes de la division… Il y a un édifice immense dont j’ai posé le fondement de mes mains : il était solide et simple, tous les hommes pouvaient y entrer en sûreté; le bâtiment tombe en ruine et de tous les côtés; les hommes en prennent les pierres, et se les jettent à la tête; je leur crie : Arrêtez, écartez ces décombres funestes qui sont votre ouvrage, et demeurez avec moi en paix dans l’édifice qui est le mien.»