Archives pour la catégorie se joue en Mai 2017

Archive 2017 – Le Misanthrope

Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompés en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.

Alfred de Musset

Qu’est-ce qui pousse Alceste vers Célimène ? Ces deux personnages sont des contraires et pourtant, ils s’attirent comme les pôles opposés d’un aimant. La sensualité de l’un épouse celle de l’autre sans que la raison s’en mêle. Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point.

Cette sensualité n’est pas décrite par Molière lorsqu’il écrit Le Misanthrope au XVIIème siècle, en 1666 et pourtant elle transpire dans tous les silences, tous les regards, tous les non-dits de ces deux amoureux.

C’est sous cet axe dramaturgique que je porte mon regard : le cœur, la sensualité.

Comment traduire ce qui n’est pas dit par Molière ? Par le corps naturellement, la danse ! Et ce qui me paraît révéler le plus le désir, l’éveil des sens, la complexité du couple se trouve dans le tango argentin.

Qu’on le veuille ou non, tout couple est aux prises avec une certaine lutte pour le pouvoir. Si ce combat est mené dans le respect de l’intégrité des personnalités, il peut régner une sorte d’harmonie qui favorise l’épanouissement de chacun des protagonistes.

Alceste et Célimène décideront finalement de ne pas lutter, de ne pas s’essayer à l’amour, par peur de s’y perdre. C’est là leur tragédie.

Karine Dedeurwaerder

METTEZ LES VOILES

Après Mon ami paranoïaque et En attendant la mort, présentés au Théâtre de l’Épée de Bois en mai 2014, Mettez les voiles !, troisième volet de Raki (tétralogie des Balkans constituée de textes de Nino Noskin) est le constat d’une guerre engendrée par les intégrismes religieux et exacerbée par la question du voile.

La pièce n’est ni datée ni située et les trois religions monothéistes se rejoignent dans l’extrémisme.

A l’image du carnaval qui puise ses origines dans le travestissement ludique des bonnes gens en démons, les rôles sont inversés : ce sont les hommes qui portent le voile et non pas les femmes. Tout est jeu, mais jeu dangereux.

Comme la pièce qui débute sur un match de football, le port du voile est pris comme un jeu. Pour certains, le postulat de base est que le voile est non pas négatif, mais positif ; qu’il est le symbole non pas de l’enfermement, de la soumission, de la souffrance mais de la liberté, de la protection et de la joie.

A la devise « Liberté Égalité Fraternité » s’oppose un islam qui revendique le port du voile comme l’attribut de la femme épanouie. L’interdiction du port du voile, au cœur de la question de l’immigration, est-elle une entrave à la diversité culturelle ou une protection contre une double discrimination ? L’immigration vers un Occident qui refuse le port du voile impliquerait-elle un endoctrinement laïque ou une chance de renouer avec les Droits de l’Homme ?

IL BUGIARDO (LE MENTEUR)

Il Bugiardo-AFFICHE

Lelio, le héros du Menteur vit dans son monde, filtré par deux merveilleux kaléidoscopes : Naples où il a vécu les vingt dernières années et Venise où il est né et où il est revenu. Deux mondes idéaux (par ailleurs les deux patries du théâtre italien) dans lesquels naît et se développe l’attitude de Lelio à l’égard de l’invention fantastique. Et comment pourrions-nous condamner un homme heureux, gai et joyeux simplement parce qu’il vit dans son monde ? Créé par son imagination, avec des actions et des entreprises mirobolantes, forgées dans ses rêves. La vie n’est qu’un songe, n’est qu’un grand mensonge et Lelio est un Rodomonte, un miles gloriosus qui n’est heureux que lorsqu’il rêve les yeux ouverts, quand il décoche les bobards les plus gros, les chevauchant comme un pur-sang qui s’emballe sans parvenir à le désarçonner ! Et n’est-ce pas là notre grand rêve ? Vivre dans le monde que nous avons inventé, dans lequel nous serions des princes invincibles, de grands conquistadores, des dispensateurs de joie sans fin ? Nous pourrions lui reprocher que ce ne soit pas la réalité, que le monde où il vit n’existe pas, mais pourquoi devrions-nous le ramener à une quotidienneté sordide, pourquoi devrions-nous le retenir en nous agrippant à ses pieds et l’empêcher de prendre son envol ? Vas-y Lelio, et amuse-toi pour notre plus grand plaisir aussi, dans le monde du théâtre tout est possible. Et nous inscrirons, comme tu l’as voulu, sur la pierre : « Ci-gît Lelio, par volonté du destin, qui pour raconter des craques, était plus fort qu’un avocat et en inventait plus qu’un conteur d’histoires : et même mort, dans cette tombe où tu le vois, tu risques gros, passant, de le croire mort… »

Geppy Gleijeses

POURQUOI J’AI JETÉ MA GRAND-MÈRE DANS LE VIEUX-PORT

Les hommes ne sauraient rien d’eux mêmes si la littérature ne leur disait pas. Sciascia

Pourquoi j’ai jeté ma grand-mère dans le vieux port est l’un des rares textes autobiographiques de Serge Valletti où il raconte l’histoire de sa famille qui vécut pendant plus d’un siècle à Marseille, « ville monde », populaire, multiculturelle.

Dans cette épopée, peuplée de personnages typiques, l’écriture de Serge Valletti révèle une humanité pleine de pudeur, de secret et de bienveillance. Il pose sur les siens un regard tendre, innocent et lucide comme celui d’un enfant exigeant la vérité. L’humour, le rire, ne laissent place ni au cynisme, ni à la dérision. C’est un bonheur de partager cette langue agile, volubile, de se laisser embarquer par Patrice Verdeil dans cette galerie de personnages, dans cette jouissance du verbe.

Etienne Pommeret

Un homme jette les cendres de sa grand-mère dans le Vieux-Port et tout à coup Dolorès apparaît. L’histoire simple d’une femme qui voulait se faire enterrer debout pour faire « chier » ses jambes toute l’éternité parce qu’elles l’avaient fait, elles, toute sa vie. De Louis, son mari, qui a quitté sa femme officiellement à cause du persil. De son fils, Alex, qui aurait pu être pape, et de son petit- fils qui aurait pu être fils de pape. De Mohamed, l’ouvrier marocain qu’on appelait tonton Charles.

Une véritable épopée peuplée de figures qui se croisent tout au long d’un récit cocasse à l’écriture limpide.

Dolorès aurait pu être ma grand-mère. Quoi de plus excitant que de faire siennes les histoires intimes d’un autre que l’on n’a pas connu mais qui nous ressemble tant. Le rapport enthousiaste que je peux avoir avec ce texte ressemble à celui que l’on peut avoir lorsqu’on se rend au mariage d’un cousin que l’on n’a pas vu depuis longtemps. Ma démarche se rapproche de celle du conteur, raconter des histoires, pour que le théâtre ne soit pas un temple, mais juste un abri dans lequel défilent les images d’un paysage intime dont l’humanité nous rassemble tous.

Patrice Verdeil

NOTRE CLASSE

En discret dialogue avec Kantor, quatorze leçons pour une histoire, celle de la vie de dix camarades de classe, juifs et catholiques, de 1929 à 2003, des bancs d’école à nos jours. Ils grandissent, entrent dans la vie adulte ensemble, deviennent les acteurs et témoins des évènements traumatisants du XXème siècle. À travers l’histoire tragique du village polonais de Jedwabne dont, en 1941, les juifs ont été massacrés par leurs voisins, l’auteur interroge les rapports ténus qui peuvent faire verser de l’amitié à la folie d’un meurtre collectif. Par-delà le bien et le mal, ce texte magistral traduit, avec ironie et rage, la quête éperdue d’une liberté et d’une humanité face à la politique et l’idéologie comme les déterminants de la vie humaine.

« Sur le plateau la communauté se décompose et se recompose. L’acteur se laisse traverser par un personnage, donne corps à un souvenir comme à son parcours intime. Une fanfare se fait et se défait. Les habits se superposent. Les baluchons se préparent… Les fantômes des disparus continuent à hanter le plateau. »
LA MONTAGNE, Édouard Papierski

« On ne sort pas indemne d’une telle représentation, tant ce texte est fort, profond, souvent dur, mais aussi empli d’une poésie intemporelle… Musique et bruitages, omniprésents, intensifient la dimension émotionnelle du texte avec justesse et intelligence. C’est une parole forte sur la réparation de la mémoire qui la fait résonner avec l’actualité.  Un texte sans concessions, joué par la compagnie  Retour d’Ulysse  au sommet de son art. »
http://projecteurtv.com/ J . Jarmasson

« Engagé, innovant et nécessaire »
Vaucluse matin

NATHAN LE SAGE

Le lieu ? Jérusalem. Le moment ? 1187, la troisième Croisade. Mais peut-être aussi : aujourd’hui, et partout. Même fond d’intolérance, même cortège de fanatismes religieux. Le sujet ? la rencontre, dans ce paysage de ruines qu’engendrent habituellement passions nationales et cris de « Dieu le veut ! », de trois hommes qui vont tenter les préjugés de leurs peuples : un Musulman (Saladin, maître de Jérusalem), un Juif (Nathan, un marchand riche et respecté) et un Chrétien (un jeune et fougueux Templier). Rencontre au sommet –au sommet de l’homme-, réponse à tous les fous de Dieu, d’hier et d’aujourd’hui. Poser les premières pierres de la famille humaine : l’utopie du XVIIIe siècle (la pièce date de 1779) s’est faite aujourd’hui urgence absolue. Barbarie ou civilisation, il faut choisir. Et le choix –c’est ce qu’affirme avec la limpidité de l’évidence la pièce de Lessing- commence d’abord par soi, en soi, dans sa relation à l’autre, le différent.

« Sur cette terre des miracles, tout est possible », dit un des personnages. Et ce n’est pas un moindre miracle que ce sujet brûlant et grave apparaisse ici sous la forme d’une comédie pleine d’action, de rebondissements et d’humour : une « folle journée », feuilleton romanesque et philosophie mêlés. Du vrai théâtre, incarné, simple, vivant. Miracle du Siècle des Lumières.

LE DERNIER CHANT

Après avoir monté Caligula de Camus, cette grande figure éprise de liberté et d’absolu, nous avons eu besoin de nous arrêter, de regarder autour de nous. Besoin de raconter des histoires de comédiens, de comédiennes. Faire silence et les écouter…

Nous avons tous des rêves et nous croyons en eux. Nous ne posséderons jamais la lune, mais nous pouvons croire en notre capacité de la décrocher.

Tchekhov connaissait bien les acteurs et les actrices. Beaucoup de ses nouvelles racontent leurs histoires. Nous avons choisi d’en adapter quelques-unes (Le Baron, Elle et lui), la pièce Le chant du cygne et les Correspondances avec Olga (des lettres entre Olga Knipper et l’auteur).

Nous suivons des itinéraires d’acteurs : leurs désirs, leurs rêves brisés, leurs moments de gloire, leur solitude, la peur de la vieillesse, la mort, … et peut-être l’oubli…

Des moments d’éternité ou l’absolu de l’éphémère.

Rien n’est donné d’avance, ni la grandeur, ni la petitesse. Le théâtre apparaît alors sous un jour qu’on lui reconnaît peu et qui pourtant lui est essentiel : sa fragilité et la fragilité de ceux qui le font.

Tout cela dans une pluie de paroles vertigineuses, souvent drôles.

Nous serons sur un fil. Au bord du rire.

Mélanie Pichot et Emmanuel Ray