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L’ATLANTIQUE / LA TRAVERSÉE

C’est en marchant dans la rade de Cherbourg qu’un parcours explicatif sur l’histoire des grands paquebots qui traversèrent l’Atlantique me donna l’idée d’un spectacle évoquant la condition des migrants d’Europe vers l’Amérique
J’ai imaginé la séparation d’avec leurs proches dans le cri de cette mère restée à quai et voyant s’éloigner le bateau, scène évoquée par Erri de Luca. J’ai pensé aux conditions des voyageurs de troisième classe, à leur arrivée à Ellis Highland avec l’incertitude de leur sort, lieu sobrement et magnifiquement décrit par Georges Perec, Kafka ou Gaelle Josse. J’ai aussi pensé à mon père qui se rendait régulièrement aux États-Unis pour son travail et dont les périodes d’absence ont rythmé mon enfance.
Chacun de nous a en lui une relation au départ et à l’exil. Que ce soit celui de ses ancêtres ou le sien. À l’heure où le monde change et où il frappe aux portes de la vieille Europe tentée de se refermer, évoquer ce sujet qui nous touche tous et chacun, est une évidence : Qui exprimera mieux la nostalgie ou la joie d’une vie meilleure que ces musiques qui tour à tour suggèrent le regret d’une terre natale ou l’enthousiasme d’une condition nouvelle ? Car dans ce parcours d’Est en Ouest comme dans le spectacle, c’est l’univers de la liberté symbolisée par le jazz qui finira par s’imposer : « Quand tu ne sais pas ce que c’est, alors, c’est du jazz » écrit Baricco dans Novecento pianiste.

Blandine Jeannest

L’ARLÉSIENNE

L’Arlésienne n’est pas seulement le titre d’une des nouvelles des Lettres de mon Moulin d’Alphonse Daudet. C’est aussi celui d’une pièce de théâtre (qui fut accompagnée, à sa création en 1872, d’une musique de scène de Georges Bizet devenue célèbre depuis) merveilleuse de raffinement, de subtilité et d’émotion.

« Daniel Mesguich lit pour nous la pièce en donnant une voix à chacun des personnages (le vieux berger, Balthazar ; le jeune héros, Frederi ; Rose, la mère de Frederi ; mais aussi la timide Vivette ; le frère de Frederi, qui n’est autre que le très clairvoyant idiot du village ; etc.), en prenant également un accent provençal qu’on jurerait vrai. Rien n’est affecté ni grotesque. Là où un mauvais acteur s’égarerait dans une espèce de parodie, il s’agit, au contraire, d’un numéro de comédien d’une virtuosité confondante, ou plutôt, d’une multiple incarnation qui donne une vérité poignante au texte de Daudet. Le fait que Mesguich, en outre, lise les didascalies donne à cette lecture habitée une espèce de réalité vertigineuse. »

Christian Wasselin

CAPITAINE FRACASSE ou ET DE NOUVEAU SAURA LE MONDE QUE LE THÉÂTRE EXISTE

Inspirée du célèbre roman de Théophile Gautier, Capitaine Fracasse ou Et de nouveau saura le monde que le théâtre existe n’en sera pas moins, non pas une simple adaptation, mais véritablement la première pièce de théâtre écrite par Daniel Mesguich. Les personnage en seront, notamment – outre, comme dans les mélodrames, le bon et courageux héros, Sigognac ; la belle jeune première, Isabelle ; l’horrible traître, le Marquis de Vallombreuse – les plus grands acteurs, revenus sous forme de spectres, de l’histoire du théâtre français : Mounet-Sully, Rachel, Frédérick Lemaître, Adrienne Lecouvreur, Marie Dorval, etc.

Les veines de l’amour et de la haine, de la trahison, de la tendresse, de la violence, mais aussi de l’humour, et celles, encore, de l’écriture, ou, bien sûr, du théâtre, et même de la philosophie, marbrent ce chef d’œuvre de Théophile Gautier : Le Capitaine Fracasse.
Outre qu’il s’agit, dans cette adaptation pour la scène, de multiplier les possibilités de faire entendre différents niveaux de langues (et, partant, différents codes de jeu), de faire entendre, spectrales, subliminales ou avouées, quelques réminiscences d’autres textes (de Shakespeare à Hélène Cixous), de faire entendre quelques pistes de théories théâtrales aujourd’hui minoritaires mais à nos yeux fondamentales, ce spectacle veut – surtout – faire renaître et résonner les noms des plus grands comédiens de l’histoire du théâtre (Rachel, Frédérick Lemaître, Mounet-Sully, Adrienne Lecouvreur, Réjane, etc.) revenus, sous forme de spectres, hanter les aventures de cape et d’épée du Baron de Sigognac : c’est dire – surtout – qu’il se veut une déclaration d’amour au théâtre.

CE QUE LEUR DISENT LES ANGES

Sur scène, deux femmes et un homme. Une mise en espace simple. Deux lectrices et un musicien évoquent les mots, les tribulations, quelques fragments de la vie d’Annemarie Schwarzenbach et de Patti Smith.

Les lectrices s’invitent à leur côté : elles parlent, lisent, rêvassent un peu, l’une chante, l’autre pas… Parfois à leur pupitre, elles se retrouvent aussi à la petite table du café Zak, où Patti S sirote ses sempiternels cafés.

Elles évoquent, convoquent tour à tour l’une ou l’autre de ces artistes qu’un bon demi-siècle et un océan séparent, deux femmes transfuges, deux natures hors du commun, voyageuses, libres avant toute chose : Annemarie Schwarzenbach, l’écrivaine-journaliste parcourant le monde ou se perdant dans les cabarets du Berlin de l’entre-deux guerres, et Patti Smith, l’icône du rock, chanteuse-poète. Elles mettent leurs pas dans les leurs.

A l’écoute de la musique des mots, l’homme, contrebassiste et chanteur, les accompagne dans ce voyage. Et il est aussi la jeunesse d’Annemarie, il a l’âge qu’elle avait quand la vie l’a quittée.

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Pourquoi elles ?

Au début elles étaient là, bien présentes, sur ma table de chevet, et côtoyaient dans mon imaginaire des écrivains-voyageurs, des poètes : Nicolas Bouvier, Rabindranath Tagore, Jean-François Billeter, Ella Maillard et quelques autres. Je furetais de l’un à l’autre, suivant le fil invisible qui les liait comme les perles d’un collier.

Puis comme une évidence, ces deux-là se sont croisées et ne se sont plus quittées. Leur rencontre s’est imposée à moi et m’a fait écarter tous les autres, ceux que j’avais dans un premier temps pensé embarquer sur mon arche.

C’était la ligne de départ, elles deux, et elles deux seules.

Comment ces deux femmes si dissemblables, l’une ne parlant finalement que d’elle, l’autre n’en parlant à peu près jamais, à un demi-siècle de distance, s’accordent-elles pour toucher de façon très simple à l’universel, témoignant de l’expérience profonde, intime, la seule qui compte, peut-être, en approchant de la ligne d’arrivée ?

Leurs voix se font écho pour évoquer l’amour, la perte, la rencontre improbable avec leur part de rêve, avec l’écriture indispensable, avec la beauté et la cruauté du monde, elles disent leur intuition profonde de son unité, et témoignent de cette joie infime, toujours là, y compris derrière le masque de l’horreur.

Sandra Bessis

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

« Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser. »

« Certes, ainsi que le feu d’une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter : pareillement plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout ; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits: semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d’aliment à sa racine, n’est bientôt qu’une branche sèche et morte. »

« Souffrir les rapines, les brigandages, les cruautés, non d’une armée, non d’une horde de barbares, contre lesquels chacun devrait défendre sa vie au prix de tout son sang, mais d’un seul ; nommerons-nous cela lâcheté ? » 

« Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! C’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir, puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. »

« …si l’on voit, non pas cent, non pas mille, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes ne pas assaillir, ne pas écraser celui qui, sans ménagement aucun, les traite tous comme autant de serfs et d’esclaves : comment qualifierons – nous cela ? »

« N’est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais ramper, non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants,  ni leur vie même qui soient à eux ? »

« Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. »

Étienne de La Boétie

 

PAROLES DE SPECTATEURS…

« […]. Le plaisir est au rendez-vous. […] Il ne s’agit pas simplement ici d’un seul en scène se contentant d’une profération ; il y a plus : une mise en scène (d’Antonio Diaz-Florian, directeur du théâtre), un décor et des costumes (Abel Alba), une vraie interprétation (Graziella Lacagnina). »

In « L’OURS », article de Robert ANDRÉ – 7 juin 2024
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Déjà, arriver au Théâtre de l’Epée de Bois est une invitation à un voyage, hors du temps, un voyage comme seul le théâtre peut proposer. Dans la salle dit du « salon » on assiste à un discours éclairé, brillant, puissant, merveilleusement interprété par Graziella Lacagnina, qui donne vie à Etienne de la Boétie, ()

Marie Pierre BORDEL – le 2 décembre 2024
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Si La Boétie recense trois catégories de tyrans, il n’a de cesse d’opposer la liberté des individus à qui il revient de la rechercher inlassablement.
Car il en va de leur dignité d’être humain – de notre dignité et aussi de notre responsabilité. ()

Roland TAVEL – le 23 novembre 2023
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MERTEUIL, VARIATION

Quartett est une réécriture brève et étincelante des Liaisons dangereuses de Laclos. Merteuil et Valmont, les deux protagonistes du roman épistolaire, ont vieilli. On les retrouve cloîtrés à l’intérieur du musée de (leurs) amours avec les statues de (leurs) désirs en décomposition. Leur aire de jeu, leur terrain de chasse est toujours l’érotisme. Eros et Thanatos for ever.

Dans Merteuil, variation, spectacle imaginé à partir de fragments du texte de Quartett, la marquise de Merteuil est jouée par un homme, David Arribe. Après Moloch, spectacle dans lequel David incarne un Ogre imaginaire chez qui les fantômes du Boucher des Balkans et de Dracula se mêlent, s’est imposée l’idée de poursuivre avec lui l’exploration d’un territoire habité de prédateurs monstrueux, une plongée dans la nuit des corps. Merteuil est seule, elle rêve. L’image de Valmont l’habite, le désir palpite encore. Et la mort rôde, elle qui, selon Georges Bataille, « rejette l’homme dans l’animalité ». C’est dans la mise à mort qu’elle, qu’ils parviendront à l’apogée du désir. Au cœur de la pièce, il y a ces mots de Merteuil : Quelque chose vit entre l’homme et la bête. Que j’espère ne pas avoir à rencontrer, ni dans cette vie, ni dans une autre, à supposer qu’il y en ait une autre. A la seule pensée de son odeur, je sue de tous mes pores. Mes miroirs exsudent son sang… Il m’arrive de rêver qu’il surgit de mes miroirs sur ses pieds de fumier et sans visages, mais je vois ses mains avec précision, griffes et sabots, quand il m’arrache la soie des cuisses et se jette sur moi comme la terre sur un cercueil, et peut-être sa violence est-elle la clef qui ouvre mon cœur. Il y a dans ces lignes l’expression d’une peur primordiale,originelle, où désir et haine seraient mêlés inextricablement, où l’un des premiers gestes exercés par l’autre sur soi-même serait un geste d’agression, d’une volonté imposée par la violence.

« Continuons à jouer. L’art dramatique des bêtes féroces ». Comme dans Quartett, où Merteuil et Valmont « jouent » à être Madame de Tourvel et Cécile de Volanges, deux proies séduites par Valmont, dans Merteuil, variation, Merteuil « joue » à être Valmont et Tourvel dans ce qui se révèle être le rituel de la mise à mort (une nouvelle fois) de Madame de Tourvel. Les ombres familières d’Artaud et de Genet veillent en coulisse.

Frisson des identités mouvantes, obsession de la jouissance, angoisse de la mort, et parfois l’écho d’un rire salvateur qui est celui d’une liberté qui s’affiche sans pudeur et sans masque à une époque trop souvent marquée par un moralisme exacerbé.

La fonction de l’art du théâtre (s’il en a une) n’est pas d’apporter des réponses aux questions qui agitent la société des femmes et des hommes, mais d’exposer en pleine lumière, de la manière la plus crue, le théâtre des opérations de nos tourments intimes et collectifs.

Jean-François Matignon, 13 septembre 2020

ANDROMAQUE – Archives

En déroulant les fils enchevêtrés des passions amoureuses que met en scène Andromaque, Racine fouille la vertigineuse question du désir et démonte sa mécanique universelle : plus l’objet s’éloigne et plus le désir augmente. Mécanique ô combien dramaturgique ! Pour achever la démonstration et mener l’œuvre à sa forme tragique, Racine pousse le jeu à l’extrême et situe l’objet hors d’atteinte. Pour les personnages, les seules issues sont la mort ou la folie.

Malgré la démesure de la peinture, impossible de ne pas voir que la violence d’Hermione et de Pyrrhus, le délire d’Oreste et la cruauté d’Andromaque sont bien les nôtres. La puissance impérieuse du désir contient une sauvagerie qui menace, à tout moment, de démentir la raison et de renverser tous les ordres.

Impossible à chasser, difficile à apprivoiser, sa nature mystérieuse a beau être dérangeante, le désir est constitutif de l’être humain – aucune action ne pourrait exister sans lui, et le pire serait de s’en détourner.

Dans notre société moderne, hyper sensible au moindre danger, avide de contrôle et de « douceur », au point de donner, du désir, une image pathologique, la pièce de Racine provoque une sorte de collision historique à la fois abrupte et réjouissante.

Et si la violence contemporaine n’était plus de succomber à son désir, comme « une bête », mais de le nier, comme « un ange » ?

Une mise en scène centrée sur le jeu des acteurs : une distribution jeune, une scénographie épurée, sans décor, un travail au cordeau sur la langue française, pour une version moderne et réjouissante, dans un respect absolu de l’œuvre.

BUTTERFLY : l’envol

Prenant sa source dans l’opéra de Giacomo Puccini, « Butterfly : l’envol » fait le pari de la relecture de l’œuvre originelle, dans laquelle chaque artiste au plateau est tour à tour comédien.ne, chanteur.se, instrumentiste. Comme autant de différents points de vue d’un même drame. Comme autant de papillons autour d’une même flamme…

S’inspirant du récit des mariages éphémères entre marins et jeunes femmes japonaises, Leslie Menahem, auteure, propose une fiction moderne inspirée du livret de l’opéra Madama Butterfly. Elle donne la parole à Suzuki, confidente de l’héroïne. Stanislas Kuchinski réinvente des pages emblématiques de l’opéra et d’autres pièces choisies pour une formation originale : violon,clarinette, basson, contrebasse. La série de pièces originales composées par Graciane Finzi sur des Haïkus viendront ponctuer le récit. Comme des pensées musicales et poétiques, hors du temps.

Jouant l’intimité et la confidence, l’action se noue autour d’un dispositif unique, modulable, au centre du plateau. Les quatre instrumentistes, qui seront aussi récitants, joueront par coeur : gage, d’une part, de la fluidité du spectacle et opportunité, d’autre part, de laisser parler leur instrument sans la contrainte visuelle d’un pupitre. Ajoutées à ce quatuor, une soprano et une comédienne.

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La Presse en parle

« Le théâtre de l’Epée de Bois nous propose une magnifique oeuvre poétique et lyrique(…) Cette oeuvre est un véritable enchantement des sens marquée par sa délicatesse et sa beauté esthétique ». Laurent Schteiner, Théâtre.com

« C’est une superbe réussite (…) Un très beau spectacle qu’il faut courir voir ». Micheline Rousselet, La lettre du SNES

« La virtuosité des musiciens et leur complicité, la pureté de la voix de la chanteuse qui interprète, conférent à ce Butterfly une beauté rare ».Nicolas Arnstam, Froggy’s Delight

« La musique, le texte et le chant s’enchevêtrent, et se soutiennent pour donner un résultat très agréable. C’est à la fois, doux et pur, léger et fort (…) Un très joli moment de théâtre. A voir ! ». ManiThea

QUARTETT

DE SADE A MÜLLER

Je me suis toujours passionné pour les courants libertins du XVIIème & XVIIIème siècles et je reviens toujours vers eux, dès que je sens ma réflexion devenir prisonnière des filets de la bien-pensance, quand il devient urgent pour moi de retrouver ma hargne avec ma profondeur. J’entreprends alors une plongée dans les gouffres de l’antimorale (et notamment sadienne), afin de m’extirper, pour un temps du moins, de cette propreté apparente du monde, d’un monde où pour notre bonheur, il sera bientôt interdit de vivre !
Commence donc mon exploration par Aline et Valcour. Lire Sade, c’est faire place nette, désapprendre, partir à la conquête du vide. D’un roman épistolaire à l’autre, je fais irruption chez Laclos qui me dirige droit sur Müller. Je viens inconsciemment de tisser un fil. Quartett ! J’ai lu la pièce, il y a très longtemps, mais je ne l’ai jamais vue jouée. Je retrouve très vite la partition, je m’y engouffre. Avant d’arriver au bout, je pense déjà à mon actrice, et j’en fais mon essentiel !

ET PUISQU’IL FAUT TOUT DE MÊME PARLER DE LA PIÈCE

Celle-ci met en scène la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, les deux protagonistes des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Mais Heiner Müller ne fait en aucun cas une adaptation du célèbre roman épistolaire. Et c’est ce qu’il indique d’entrée au lecteur en introduction à sa pièce :
“Un salon d’avant la Révolution française / Un bunker d’après la troisième guerre mondiale“
S’il calque le parcours et le caractère de ses personnages sur le parcours et les personnages de Laclos, il va néanmoins les emmener ailleurs, et autrement.

En effet, dans ce Quartett, Merteuil et Valmont apparaissent toujours en libertins oisifs et maléfiques de la seconde moitié du XVIIIème siècle, mais il se pourrait fort bien aussi qu’il s’agisse de personnages endossés par des acteurs se retrouvant une dernière fois pour une cérémonie à la fois baroque et funèbre ; un rituel parfaitement orchestré pour enterrer avec eux la fin d’un monde, du leur.

Du jeu au jeu-dans-le-jeu, la frontière est poreuse et favorise les glissements qui s’opèrent entre l’univers du réel et celui du fantasme. Nos deux naufragés, comme survivants d’une guerre des sexes, vont s’affronter à “tour de rôles“ sur leur terrain de jeu privilégié l’érotisme ; remède unique pour repousser la mort et à la fois s’y fondre, et avec une arme redoutable le langage.

Merteuil pose la situation et entame la joute, Valmont réplique. Puis vient le jeu des rôles : Merteuil endosse le rôle de Valmont et Valmont endosse (par défaut) celui de La Tourvel. Valmont reprend ensuite son propre rôle devant Merteuil qui endosse celui de Cécile de Volanges. (Voici le titre clarifié !) Enfin, et pour conclure : “le sacrifice de la Dame“ ! Valmont reprend le rôle de Tourvel et Merteuil celui de Valmont. Fin de partie !

Personnages-acteurs, mais aussi spectateurs d’eux-mêmes, chacun est pour l’autre à la fois miroir et adversaire. Inséparables, qui sait, peut-être ? « Maintenant nous sommes seuls cancer mon amour ».
Ce sont les derniers mots de la pièce et de Merteuil, celle-là même dont le double s’affranchissait ainsi dans le roman de Laclos : “Je suis née pour venger mon sexe“.

Patrick Schmitt

CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL

Juin 1939, à 26 ans, Aimé Césaire, né en Martinique, publie la première version de Cahier d’un retour au pays natal. Premier poème d’une œuvre qui allait faire de lui un des plus grands poètes de langue française du 20e siècle. Texte fondamental symbolisant la fierté et la dignité retrouvée des peuples noirs mais aussi des peuples opprimés à travers le monde.

Cahier d’un retour au pays natal est fermement ancré dans la réalité sociale, historique et géographique des Antilles françaises de l’entre-deux-guerres. À cette époque, la France et l’Europe régnaient en maîtres sur leurs empires coloniaux, notamment sur l’Afrique et les Antilles. À cette époque, les thèses racistes du diplomate et écrivain français, le comte de Gobineau, sur l’inégalité des races nourrissaient la philosophie du IIIe Reich. À cette époque, dans le Mississippi, Bessie Smith mourait d’une hémorragie devant un hôpital réservé aux blancs qui refusait de la soigner. À cette époque, Joséphine Baker, « Reine de Paris », déposait sa ceinture de bananes. À cette époque, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Léon Damas inventaient la négritude et rendaient à la femme et à l’homme noirs leur dignité d’êtres humains.

80 ans plus tard, alors que de nombreux citoyens dans le monde scandent « black lives matter », la situation ne semble pourtant pas avoir tant bougé sur le fond. D’où l’importance de revenir à Aimé Césaire et à son Cahier d’un retour au pays natal.

Celui-ci nous invite à un voyage dans l’espace et dans le temps pour comprendre les bases historiques, sociales et sociétales sur lesquels se sont construites les relations entre Europe, Afrique et Amériques. Pour comprendre et pour effacer l’oubli, reprendre conscience et confiance en l’humain et re-construire un monde plus respectueux de l’autre, qui promeut la diversité culturelle et favorise un Vivre ensemble apaisé.

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La Presse

« Jacques Martial surgit dans la brèche d’un vaste rideau, […], S’ensuit une sorte de juste miracle permanent. C’est tout un monde qui se crée, là, sous nos yeux et par l’ouïe, dans ce grand corps mobile et ces mains qui sculptent l’espace. »
Jean-Pierre Léonardini, L’Humanité

« … Que dire de plus ? Que Jacques Martial est tout bonnement magistral par sa présence et son incarnation. Que nous vibrons au rythme de ses incantations, qu’il nous fait non seulement entendre la beauté et la nécessité de cette litanie Césairienne mais nous fait aussi percevoir toute la genèse de l’homme noir opprimé qui est bien là, ressuscité. »
Moussa Kobzili, Le Choryphée

 « La voix s’élève. Tantôt impérieuse et tumultueuse, tantôt sourde et caverneuxe, elle n’est point banale récitation, elle psalmodie corps et maux à l’empreinte des mots de cet emblématique Cahier d’un retour au pays natal ! Visage et peau ruisselants sous la chaleur tropicale roulent en larmes argentées les noirs sanglots de l’identité créole autant que la poétique flaboyante d’une langue archipélisée. »
Yonnel Liégeois, Chantiers de culture

« Car si Césaire se lit, il est encore plus puissant quand on l’écoute. Jacques Martial lui donne toute sa présence par sa voix vibrante, un corps imposant et une gestuelle redoutable. Le sens ne passe pas par l’intellect, mais la poétique des formes, verbales, mouvantes, chorégraphiées. A l’heure de black lives matter, Cahier d’un retour au pays natal est d’une contemporanéité subjuguante, avec la beauté sonore d’un texte aux volutes oniriques. »
Jacky Bornet, France Télévision

« Vêtu de vêtements informes tel un pauvre erre, portant des gros sacs, [Jacques Martial] investit progressivement le plateau. Transmettant avec précision et intensité le texte de Césaire, le comédien traverse tous les mouvements du texte, de l’évocation de l’enfance de Césaire, marquée par la misère, à celle de la traite des populations noires ; des clichés qui leur sont accolés ainsi qu’aux Antilles, à la résignation des peuples colonisés. »
Caroline Châtelet, sceneweb.fr

« Jacques Martial a la carrure du guerrier assuré marchant contre les pensées les plus rétrogrades et réactionnaires, obtuse, contrites, empêchées et mortifères, en mal de souffle et de vie respirée. L’acteur porte haut et fort le poème éclairé d’Aimé Césaire. […] Un temps inlassable de méditation poétique, à la mesure de belles promesses existentielles. »
Véronique Hotte, Hottello

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Extrait du spectacle 

Téléfilm de Philippe Bérenger