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EL ÚLTIMO DIARIO DE JOSÉ MARÍA ARGUEDAS

Qu’est-ce qui fait qu’un auteur concentre en son œuvre la sensibilité des différentes nations andines ? José María Arguedas, après 58 ans de défense de la culture indienne, perd ses forces et finit, hélas, par se suicider. Nous qui lui survivons momentanément pouvons prendre son dernier journal, El último diario, et tâcher d’en faire le porte-étendard de son rêve : unir tous les peuples, Todas las sangres.

 

 

LA VAGUE

Naissance du projet

C’est en cours d’histoire au lycée, qu’Alexandre Auvergne découvre le film « La Vague », réalisé par Dennis Gansel. Il décide ainsi de se renseigner sur l’expérience de Ron Jones qui a inspiré le roman de Todd Strasser dont s’est servi D. Gansel pour son film et d’en réaliser un Travail de Fin d’Études (TFE), avec l’envie d’emmener cette pièce en dehors des murs de l’école. Alexandre décide de monter sa propre Vague et de l’adapter à la population résidente en France, contrairement au film où l’action se passe en Allemagne. La pièce permet d’évoquer et de faire exprimer la jeunesse à travers les élèves de M. Perrot. De façon générale, les adolescents traversent une période de vulnérabilité, ils peuvent être très influençables, et n’ont souvent aucun filtre. Le but de la Vague est d’éveiller les esprits sur le monde d’aujourd’hui, et c’est ce que prouve l’expérience de Ron Jones : l’autocratie n’a ni frontière, ni âge, tout le monde est concerné. Le nazisme a beau avoir été vaincu en 1945, le monde contemporain montre qu’il peut ressurgir à tout moment. L’adaptation de «La Vague» d’Alexandre Auvergne et de Prune Bonan propose ponctuellement une interactivité avec le public. Cela permet aux spectateurs de plonger progressivement dans la mise en place d’une communauté autocratique en étant les élèves de cette classe puis en observant les diverses techniques de manipulation d’une population pourtant consciente de l’Histoire.

L’expérience de Ron Jones

Ron Jones est un professeur d’histoire au Lycée Cubberley de Palo Alto en Californie. En avril 1967, lors d’un cours sur l’Allemagne nazie, il décide de mettre en place une étude expérimentale en y impliquant ses élèves. L’idée qu’une population puisse commettre un génocide sans aucune réaction, leur paraissait totalement impossible. Il décide de leur montrer comment Hitler s’y est pris. Il crée un mouvement intitulé « La Troisième Vague », dont l’idéologie vante les mérites d’une communauté. L’objectif étant d’alerter les élèves sur le conditionnement de masse, tout en leur faisant vivre une expérience au sein d’un groupe totalitaire. Cependant, plus l’expérience avance au fil des jours et plus la classe se plaît à faire partie d’une communauté. Les élèves et le professeur portent désormais un uniforme commun, se saluent d’un geste distinctif et de là, naissent des slogans inquiétants. Quiconque s’opposerait aux règles choisies se verrait immédiatement exclu de l’expérience et ainsi de la communauté. Ron Jones avouera, plus tard, avoir été pris à son propre jeu. Il confiera avoir pris un certain plaisir à être le leader du groupe d’étudiants. La pièce, « La Vague », s’inspire de ces faits et du roman « The Wave » écrit par Todd Strasser, ainsi que de différents téléfilms inspirés de cette expérience psychologique.

MON ÂGE D’OR

La Presse en parle 

Une fée de poche qui vous prend par le bout du cœur L’Humanité / Jean-Pierre LEONARDINI

Accompagnée par le pianiste Vincent Leterme et le violoniste Laurent Valero, cette tanagra blonde fait de chaque spectateur son intime. Avec légèreté et trois petites notes de musique, elle donne le secret de son bonheur : être fidèle à ses songes, à son enfance et à la scène. Jouez violons, sonnez crécelles. L’Obs/ Jérome GARCIN

Et maintenant elle chante ! Sur le fil de la mémoire, des perles précieuse : des chansons qui l’ont marquée et qu’elle interprète de sa jolie voix, timbre touchant, précision de la moindre inflexion. Moment musical rare, chaleureux, rigoureux et extrêmement touchant. Le Journal d’Armelle HELIOT

La dynamique est là, la puissance de l’évocation et la joie aussi…Le Théâtre, une fois encore… Arts-chipels.com

Sans affectation, avec la juste mesure de théâtralisation qui sied à ce spectacle en chansons fort bien écrit et fort bien accompagné par Vincent Leterme et Laurent Valero, Natalie Akoun partage et transmet de belles émotions. Froggy’s delight

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Du plus loin que je m’en souvienne, aller voir des spectacles de théâtre et des récitals de chanteurs me procuraient la même sensation : un désir fou et immédiat de partager la scène avec eux.  Être à ma place de spectatrice était insupportable, plus ce que je venais de voir sur scène était beau, plus mon émotion artistique me plongeait dans une sorte de tristesse dont je ne savais que faire, ma vraie vie me semblait fade tout à coup, insupportablement fade, et la vie d’artiste dont je rêvais me paraissait inaccessible. Je regardais par la fenêtre du salon l’affiche de Michel Fugain et le big Bazar, affiche qui a longtemps recouvert un chantier juste en face de l’appartement où j’ai grandi, je connaissais tous les visages de cette affiche dans les moindres détails, voir tous ces artistes aux cheveux longs, aux habits colorés me faisait basculer ailleurs, je rêvais de partir sur les routes et de travailler sans relâche, je rêvais d’être une saltimbanque…(« Saltimbanque » de Maxime Le Forestier fait partie des dix-huit chansons que je chante dans le spectacle).
Les émissions de variété était notre rituel familial du samedi soir avec ma sœur et ma grand-mère pendant que mes parents allaient au théâtre voir des spectacle de Vitez , Mnouchkine, Jean Pierre Vincent… Quand ils avaient aimé le spectacle ils nous y emmenaient le lendemain et le revoyaient avec nous. Le lieu qui a cristallisé tout cela a été La Cartoucherie de Vincennes, lieu miraculeux qui a traversé toutes les périodes de ma vie, où j’ai vu enfant et adolescente des spectacles auxquels je pense encore aujourd’hui, puis où j’ai joué plus tard, et où mes propres enfants ont tellement aimé nous voir travailler pendant qu’ils courraient et jouaient dans l’herbe, il a aussi été le lieu de notre mariage !
Depuis toujours j’ai eu envie de chanter, dans tous mes spectacles les séquences chantées et chorégraphiées y sont d’ailleurs nombreuses, mais jamais  à part, plutôt tricotées dans le texte… Comme pour continuer une pensée quand on ne trouve plus les mots ou quand on n’a plus conscience de ce que l’on ressent, comme une boite noire enfouie au fond de sa tête. Toutes les chansons que j’aime, qui m’habitent et m’accompagnent sont liées à un souvenir intime, à des vêtements, des couleurs, des coiffures,  ces détails-là me restent gravés à jamais et font corps avec la chanson.
Ce spectacle s’adresse à une personne que je ne connais pas, qui ne me connait pas, et  qui pourtant (je crois, j’espère) se sentira immédiatement de ma famille , aura partagé les mêmes rêves, les mêmes doutes, et comme moi aura été si surprise par la vitesse du temps.  Car plus un souvenir est personnel et détaillé (seuls  les détails m’intéressent), plus le spectateur y superposera son propre film, calquera sa propre page qui se fond avec la mienne.
Le regard ciselé et délicat du metteur en scène sur nous trois a donné à ce projet une couleur dont je n’avais pas idée en l’écrivant, lui seul pouvait monter ce texte et comprendre à ce point le projet rêvé que j’avais en tête, et m’a parfois poussée dans certains registres  dont je ne me pensais pas capable.
Durant le travail j’ai été confrontée à beaucoup de difficultés techniques, dues à la musique bien sûr, à l’exigence et la rigueur de Vincent Leterme, j’ai douté forcément, sur le plateau je réfléchissais en même temps à l’écriture, à la construction, à un mot ou une phrase qui ne sonnaient pas comme je voulais, même si le sens était là.  Les indications d’Olivier ont été dès le début de jouer comme si j’invitais le public dans mon salon ou ma cuisine, bouger sur scène comme dans ma maison, ne jamais être en représentation, en un mot être libre et tout me permettre, et cela donne au spectacle une dimension amusante et pétillante qui rend le spectateur complice avec mon personnage.
Dès le début du travail avec Vincent Leterme, j’ai été convaincue d’ une chose : outre le fait qu’il soit un merveilleux pianiste (et pédagogue) , je voulais qu’il soit un vrai partenaire de théâtre, un personnage à part entière. Car Olivier et moi avons été frappés par son potentiel comique, sa présence lunaire, et Olivier l’a poussé dans ce sens.  Dès son entrée une complicité se crée entre nous car je m’adresse à lui en chantant à capella, cette petite séquence a pour moi un charme particulier, on dirait presque une scène de cinéma.
J’avais envie aussi que le piano soit très présent et qu’il soit une réponse à la parole. Musicalement comme physiquement. Ce piano devient même pour un bon moment une petite chambre d’étudiante où un garçon peut entrer, reprendre en duo une chanson que je chante dans mon lit , ou me jouer un air de violon lorsque je vais m’endormir. (énigmatique et charismatique traversée du violoniste Laurent Valero quand je suis endormie sur le piano). Le piano devient pendant deux chansons un petit théâtre à lui tout seul, je suis assise dessus comme un petit oiseau voulant rejoindre son petit poisson (« Un petit poisson » chanson de Juliette Gréco),  puis allongée comme dans mon lit en chantant une chanson d’Anna Karina.
Ce qui nous importait à tous était de ne pas rendre la relation entre nous trois explicite. Bien sûr, je suis nourrie des films de François Truffaut, de Jacques Demy, et j’avais beaucoup de références en tête, mais ce que je trouve réussi et poétique est notre relation qui se passe de mots :  juste trois corps dans l’espace qui racontent et chantent la même histoire.
La participation de Laurent Valero est devenue de plus en plus importante au fil des répétitions. Au début il m’a fait travailler le phrasé, le rythme, la respiration de la musique, mais en étant peu présent sur scène. Puis au fur et à mesure de la vie de ce spectacle, ses interventions évoluent et enrichissent le spectacle, nous chantons même une chanson tous les trois alors que ce moment n’existait pas jusqu’alors. Laurent Valero est par ailleurs producteur de l’ émission sur France Musique « Repassez moi le standard ».
Mon âge d’or est un spectacle sur la naissance d’une vocation, un regard émerveillé sur l’état d’ artiste.  Le spectacle démarre sur ma première colonie de vacances où je participe aux veillées de théâtre du « groupe des grands » où je joue des  scénettes de théâtre et chante devant les autres enfants (« Trois petites notes de musique ») , et se termine par  mon entrée au Conservatoire de Paris (« Seuls au monde » de Julien Clerc),  en passant par les spectacles qui ont marqué ma vie, où la simplicité d’un choix de mise en scène  ouvre des portes sur « tous les possibles » . Quand on touche du doigt que tout est possible sur une scène, alors la vie devient très belle.
C’ est aussi une déclaration d’amour à Paris. Je ne serais bien sûr pas la même personne si j’étais née ailleurs, bien que  je commence et termine le spectacle par l’évocation de l’Algérie, d’où viennent mes parents Juifs Pied-Noir.  C’est une longue déambulation, de ma première fête de l’Huma sur les épaules de mes parents en mangeant des hot-dog avec ma sœur, jalonnée de toutes les chansons qui m’ont accompagnée, en passant par tous les quartiers de Paris où je me sens chez moi, à condition qu’ils soient au soleil !
Ce spectacle, c’est comme si je le jouais et le chantais à l’oreille de chacun, j’invite chaque spectateur à entrer dans ma vie, dans maison, dans ma tête, j’aimerais que chacun en ressorte avec la sensation que je viens de leur parler d’eux, à eux, que je viens de leur jouer et chanter leur histoire, avec douceur, légèreté et authenticité.
C’est une histoire de tendresse et d’amour inconditionnel. Une histoire toute en chansons.

Natalie Akoun

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Quand Natalie m’a dit il y a 3 ans : « je me mets au piano », j’aurais dû avoir la puce à l’oreille. Puis, il y un an quand elle a recommencé à prendre sérieusement des cours de chants avec Vincent Leterme, j’aurais dû me méfier…Puis quand elle a rencontré Laurent Valéro, j’ai senti que ça devait arriver. Alors quand elle m’a dit ensuite qu’elle imaginait un spectacle plein de chansons finalement, je m’y attendais. « Mon âge d’Or » (c’est donc le spectacle) était un machin bizarre, inclassable, fait de textes introduisant des chansons, ou le contraire, des chansons qui jalonnent l’histoire d’une femme qui raconte, pleine d’amour et de passion, son désir de théâtre, de musique, de vie d’artiste, accompagnée de deux musiciens. Et puis quand nous avons commencé à répéter, avec d’abord Vincent au piano, puis Laurent plus tard avec son violon, une évidence est apparue, il s’agissait d’une comédie musicale. Une comédie musicale où une femme nous faisait le récit d’une vie, simple mais remplie d’espoir et d’amour. La scène : c’est chez elle, et dès lors, les musiciens ne sont plus des accompagnateurs, mais des personnages faisant partie de l’histoire. En convoquant ses souvenirs, en commençant à chanter seule, à cappella après avoir rangé quelques affaires, elle les invite et les entraine à participer à son récit, à devenir ses complices. J’ai toujours pensé que les chanteurs n’avaient besoin que de leur corps comme décors, que seuls les éclairages étaient nécessaires à leur performance. Un peu comme les clowns, ou les solistes. C’est pour cela qu’en pensant la mise en scène nous avons décidé de nous passer de décors, à peine quelques éléments, un tabouret de couleurs différentes selon les époques (des périodes roses, jaunes, dorées), une valise, un porte manteaux, nous suffisent à imaginer le petit intérieur de cette femme…Et un piano demi-queue ! Un piano demi-queue sur un petit plateau, c’est un peu comme un éléphant endormi en lieu et place du mur séparant Pyrame et Thisbé : ça prend toute la place et ça ne bouge pas ! C’est donc lui le personnage central puisqu’il s’impose. On ne peut pas le cacher, alors il sera l’élément principal de l’espace. Il sera tour à tour lit, petite piaule, table, bar… Un petit théâtre en somme…Au gré des évocations. Eclairé avec finesse et talent par Pierre Peyronnet. Quelquefois, des sons de villes, de métro, des voix marquantes se feront entendre. Ce sera la seule concession au son additionnel. Le reste des ambiances sonores sera musical et pris en charge entièrement par les musiciens. Le travail le plus délicat a été celui de l’interprétation. Délicat non pas parce que difficile mais parce que nous recherchions une certaine délicatesse, une finesse en un mot un raffinement. Il fallait trouver une convention, un code de jeux qui permette la plus grande liberté possible pour passer du parler au chanter, du dialogue entre les musiciens et l’actrice et les adresses au public…Etc.  Nathalie s’est donc transformée en maçon au cours des répétitions, détruisant et reconstruisant en permanence ce fameux quatrième mur (que franchit allègrement au tout début Laurent et son violon en apparaissant du fond de la scène pour disparaître dans la salle ; comme un indice de ce qui va suivre). Cette liberté de l’artiste, c’est celle qui permet toutes les audaces. J’ai insisté sur un point qui m’a semblé primordial : La légèreté. L’écueil du récit de souvenirs est de tomber dans une mélancolie suscitant une émotion poisseuse. En écoutant Natalie (son personnage de fiction) chanter et jouer devant moi, je voyais une femme qui certes nous parlait de son passé comme d’un refuge,  mais pour s’en libérer. Et pour cela il fallait qu’elle s’amuse de son histoire, qu’elle en fasse une comédie où elle regarde derrière elle en souriant, qu’elle voit la jeune fille qu’elle était avec tendresse et amusement, pour que le miroir de sa vie qu’elle nous tend ne reflète pas un paradis perdu. Ainsi nous avons trouvé (je pense) le ton juste de la nostalgie jubilatoire qui libère, qui apaise, qui rend le présent plus léger. Et puis, si quelquefois une larme affleure au coin de l’œil, ce n’est pas un drame, c’est une manifestation physique du passé, la preuve que l’on partage avec le personnage les mêmes souvenirs. Et je pense modestement que l’histoire simple d’un individu simple, qui raconte simplement sa vie, et parce qu’il n’y a rien de plus difficile à réussir que cette simplicité, et bien lorsque ces ingrédients sont réunis, c’est notre reflet. Son histoire devient alors la nôtre et peut nous aider à comprendre qui nous sommes et ce que nous sommes.

 Olivier Cruveiller

BERLIN 33

Londres, 1939
Je vais conter l’histoire d’un duel.
C’est un duel entre deux adversaires très inégaux : un Etat extrêmement puissant, fort, impitoyable – et un petit individu anonyme.
L’Etat, c’est le Reich allemand ; l’individu, c’est moi…

Ainsi commence le livre-témoignage de Sebastian Haffner Histoire d’un Allemand – souvenirs 1914-1933.
J’ai adapté pour le théâtre, sous forme de monologue, la deuxième partie de ce livre, celle consacrée à l’année 1933 et à l’arrivée au pouvoir de Hitler. Cette adaptation a pour titre Berlin 1933. Les résonances de ce texte avec ce que nous vivons aujourd’hui dans nombre de pays menacés par la montée de l’extrême droite sont saisissantes. Il y a urgence, nous semble-t-il, à faire entendre la parole vive de Sebastian Haffner.
Écrit en 1939, alors que son auteur, fuyant le régime hitlérien, se trouvait en exil à Londres, ce texte nous invite aujourd’hui à une réflexion éthique et politique. Face à la violence généralisée, à la haine de l’autre, au mensonge et à la manipulation, aux forces délétères qui traversent notre monde, comment imaginer de nouvelles raisons d’être et d’agir ?

René Loyon

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En 1938, Sebastian Haffner se place dans la perspective de ce que l’on appellerait aujourd’hui un « lanceur d’alerte ». Il attend encore de l’Europe une prise de conscience qui lui permettrait d’adapter sa réaction à la menace du nazisme. Et, comme pour nous faire mieux comprendre l’ascension d’Adolf Hitler, il nous la décrit à hauteur d’homme, d’enfant même – puisqu’il débute son récit avec la déclaration de guerre de 1914, alors qu’il n’est lui-même âgé que de sept ans. Il montre l’intrusion insidieuse du politique dans la vie quotidienne et la sphère privée. A l’analyse historique d’une grande lucidité, Sebastian Haffner mêle son ressenti, ses émotions d’enfant et de jeune homme. Et c’est précisément ce qui nous place avec lui au cœur de la tourmente, nous donnant – comme il a pu l’avoir sur l’instant – une compréhension intuitive autant que cérébrale des événements. C’est aussi ce qui fait chair pour l’acteur et permet de faire de ce texte un objet théâtral.
Comment, dans un contexte miné par la crise économique, un homme apparemment sans envergure, tel que « la plupart de gens qui l’ont acclamé en 1930 auraient probablement évité de lui demander du feu dans la rue » a pu mettre à sa botte « le peuple allemand, qui ne se compose tout de même pas exclusivement de poltrons » et lui imposer son projet démentiel « qui est une nouveauté dans l’histoire universelle. Il s’agit d’inoculer systématiquement à un peuple entier – le peuple allemand – un bacille qui fait agir ceux qu’il infecte comme des loups à l’égard de leurs semblables ou qui, autrement dit, déchaîne ces instincts sadiques que des millénaires de civilisation se sont efforcés d’éradiquer. »

Laurence Campet

ESPAÑA, APARTA DE MÍ ESTE CÁLIZ

Un comédien doit absorber les mots du poète, les faire siens après des mois de lente et profonde assimilation, avant d’oser enfin se présenter devant le public.
Mais un des « paradoxes du comédien » est que, s’il faut avoir une grande expérience des planches pour transmettre les sentiments qui abordent la mort, c’est justement à ce moment-là que le cerveau ne peut plus enregistrer les milliers de vers du poète.
Au bout d’un demi-siècle de travail, je me dis parfois : « Je crois être prêt à vivre, à risquer, à affronter la poésie de Vallejo… Mais hélas ! ma mémoire n’est plus celle du jeune homme qui, sur le bateau qui l’amenait à Moscou, récitait en longeant les côtes encore saignantes de la guerre fratricide, Espagne, éloigne de moi ce caliceEn savoir plus

EL PRESIDENTE COLACHO

C’est en 1934 que le poète a écrit cette satire des présidents de l’Amérique qu’on appelle Latine, mais le temps nous démontre que la différence est mince entre les présidents de là-bas, d’il y a un siècle, et les présidents contemporains du monde entier.
Pouvons-nous alors critiquer « les autres » sans nous livrer à notre propre censure ?

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LES FOURBERIES DE SCAPIN

En l’absence de leurs pères partis en voyage, Octave, fils d’Argante s’est épris de Hyacinte, jeune fille pauvre et de naissance inconnue qu’il vient d’épouser, ainsi que Léandre, fils de Géronte, de la « jeune Égyptienne » Zerbinette.

Argante, père d’Octave revient en ville pour le marier. Il ne sait pas que son fils s’est marié pendant son absence. Octave, très inquiet de la réaction paternelle à l’annonce de son union et, de plus, fort à court d’argent, implore l’aide de Scapin, valet de Léandre. Mais cet « habile ouvrier de ressorts et d’intrigues » ne parvient pourtant pas à faire fléchir le vieillard.

Argante répète à Géronte une nouvelle qu’il tient d’une indiscrétion de Scapin : Léandre a commis une grave erreur.  Aussi le jeune homme, fort mal accueilli par son père, corrige-t-il vertement le valet pour sa trahison. Mais il quitte bientôt son ressentiment pour le supplier de lui venir en aide : il lui faut payer une rançon pour Zerbinette s’il ne veut pas la voir enlevée par les Égyptiens.

Par de hardis stratagèmes, l’inventif Scapin ne tarde pas à extorquer la somme aux deux vieillards. Mais Scapin entend encore se venger de Géronte qui l’a desservi auprès de Léandre. Aussi lui fait-il croire qu’un prétendu frère de Hyacinte est à sa poursuite, résolu à lui ôter la vie pour le punir de vouloir faire rompre le mariage. Afin de le soustraire à ce danger, Scapin cache sa victime dans un sac, et lui donne de violents coups, tout en feignant de le protéger des spadassins qui sont à sa recherche.

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« … l’Avare et les Fourberies de Scapin, témoignent d’une totale désinvolture envers leurs sources anciennes : Molière n’a retenu que les lignes fortes de l’intrigue et les scènes les plus porteuses de l’Aulularia de Plaute et du Pormion de Térence, insérant sans ménagement des éléments étrangers, au point de rendre l’oeuvre source méconnaissable. C’était procéder exactement à la manière des comédiens « dell’arte », qui démembraient les œuvres classiques pour en extraire les séquences susceptibles de procurer de bons moments de spectacle. »

Georges Forestier (introduction, Molière, œuvres complètes, Bibliothèque les Pléiades)

BRITANNICUS

« Néron est l’homme de l’alternative ; deux voies s’ouvrent devant lui : se faire aimer ou se faire craindre. »

Roland Barthes

Agrippine, mère de Néron, s’aperçoit que ce prince qu’elle n’avait élevé au trône que pour régner sous son nom, est décidé à gouverner par lui-même. Ambitieuse et affamée de pouvoir, elle consent à marier Junie à Britannicus, fils de l’empereur Claude, son premier mari, et frère adoptif de Néron, dans le but de se concilier l’affection de ce jeune prince et de s’en servir au besoin contre Néron…

Il ne faut pas plus de quelques vers à Racine pour poser l’intrigue et ses personnages : une famille disloquée, que le public surprend en plein trauma, avec un empereur fuyant, et sa mère, qui reste sur le pas de sa porte.

Il s’agit ainsi pour Néron non pas d’échapper à l’amour castrateur de sa mère mais de lutter contre le pouvoir qu’elle entend continuer de lui imposer. Néron n’est pas d’emblée le tyran sanguinaire que l’on connaît par la légende. C’est un jeune empereur apprécié du peuple, qui n’a pas encore brûlé Rome ni tué sa femme, ni encore sa mère.

Ça viendra pourtant… Cette enquête autour de la nature humaine, qui convie sur le champ de bataille passions amoureuses et ambitions politiques, est un condensé intense et radical d’une société éteinte, mais dont les nombreux échos nous parviennent encore…

ET MOI ET LE SILENCE

« Comme si tous les Cieux étaient une Cloche,
Et l’Être, rien qu’une Oreille
Et Moi, et le Silence, une Race étrange
Naufragée, solitaire, ici. »

Emily Dickinson Je perçus des Funérailles, dans mon Cerveau.

La jeune Jamie et la jeune Dee, l’une Noire, l’autre Blanche, se rencontrent en prison quelque part dans les États-Unis des années cinquante. Naît entre elles une amitié, une complicité, une envie de poursuivre la route ensemble. Elles se rêvent en domestiques, s’entraident, répètent fiévreusement leurs rôles de bonnes à tout faire. Quelques années plus tard, elles partagent le même logement sordide. Leurs rêves, si modestes qu’ils aient été, se sont heurtés au mépris de classe et à la ségrégation.

Par des allers-retours entre les deux époques, Naomi Wallace donne à cette relation impossible la forme d’un miroir brisé.

Il y a dans l’œuvre de Naomi Wallace, certainement aujourd’hui une des plus grandes autrices du théâtre américain, une tonalité singulière. Son théâtre a clairement une dimension de critique sociale fondamentale : il s’agit toujours pour elle de pointer sans relâche les violences, les injustices criantes, qui sont celles de l’Amérique contemporaine ; Et moi et le silence ne fait pas exception à ce souci premier. Naomi Wallace y dénonce la brutalité des rapports de classe, le racisme obsessionnel qui marque encore à maints égards la société américaine.

Mais cette nécessaire dénonciation ne relève pas d’un projet politique par trop sommaire où le slogan et le catéchisme tiendraient lieu de béquille. Dominique Hollier, l’excellente traductrice de Naomi Wallace, écrit ceci : « Naomi Wallace part des corps pour décrire le corps social ». Il y a une tendresse extrême, une empathie constante dans la façon dont l’autrice met en scène Jamie « l’Afro-américaine » et Dee « la Blanche ». Dures au mal, violentes, mais profondément émouvantes dans leur désir encore teinté d’enfance de donner un sens à leur vie, d’échapper à la pauvreté, d’être « quelqu’un » dans un monde où tout les condamne à n’être rien.

Il y a chez Naomi Wallace une attention à la détresse de l’autre, il y a aussi une musique ou une musicalité particulière dans son écriture. On est, dès la première lecture, saisi (et la traduction de Dominique Hollier joue là un grand rôle) par la limpidité de la langue, et dans un même temps, par une sorte de fantaisie, de goût de la cocasserie, un quelque chose qui relève du charme de la comptine enfantine. C’est ce mélange qui fait la grâce, la poésie, de cette œuvre singulière.

En outre notre autrice mêle de façon troublante les temporalités dans lesquelles évoluent ses deux personnages : on passe sans transition des scènes du passé – qui se déroulent en prison – aux scènes du présent, neuf ans plus tard, qui se déroulent « dans une petite chambre presque vide, dans une ville, quelque part aux États-Unis ». Mais c’est précisément cette façon d’articuler un indispensable réalisme à une dimension presque onirique et une inquiétude existentielle toujours présente qui donne à ce théâtre un charme si prégnant loin de tout plat naturalisme. C’est aussi ce qui rend l’entreprise de mise en scène particulièrement stimulante.

René Loyon

LES VITALABRI

Les Vitalabri n’ont ni patrie ni pays. On pourrait croire qu’ils sont chez eux partout mais personne ne veut d’eux nulle part. Derrière leurs frontières infranchissables, ceux qui sont nés quelque part refusent de les accueillir. Sans abri, sans papiers, avec comme seuls biens leur musique et la liberté, les Vitalabri continuent leur errance.

Une très jolie réflexion sur l’exil, la famille, le rejet d’un peuple voyageur et mal aimé. Madame Vitalabri voudrait aller « là où on aime les Vitalabri », seulement ce lieu n’existe pas. Pour franchir la frontière, le passeur leur demande de l’argent mais ils n’ont « pas un sou. Pas un radis. Pas un kopeck. Pas un liard ». Embarqués par « des uniformes, bâtons levés », jusqu’à la préfecture, ils finiront expulsés. Comme toujours.

Aujourd’hui, des milliers de personnes fuient leur pays. C’est l’exode la plus importante depuis la seconde guerre mondiale et avec elle, le rejet de l’autre.

Il faut traiter en même temps tous les racismes, répondre aux barbaries par nos coutumes civilisées :  l’éducation des enfants, l’égalité, la langue, la mémoire.

Combattre l’antisémitisme, la xénophobie, par une méthode active : le théâtre.

Ce spectacle s’adresse tout particulièrement aux jeunes de 11 à 15 ans, il leur parle

avec humour de l’apprentissage de la différence, de la curiosité de l’autre, et comment se dessine l’imaginaire de l’étranger.

L’espace pour raconter cette fable sera inspiré par le monde de l’enfance avec ses trappes et ses apparitions magiques. Au fil de leur voyage, la famille Vitalabri fait la rencontre de multiples personnages incarnés par les acteurs et leur double en marionnettes. Inventive et poétique, l’histoire se jouera rythmée par la musique et les costumes fluorescents afin de composer un spectacle joyeux, inquiétant et féerique.

La musique et la liberté sont les personnages centraux de cette fable des exilés. La sensibilité de Eric Slabiak me paraissait évidente pour composer cette musique de l’errance. La famille de musiciens joue berceuse sur berceuse, ils marchent et marchent, leurs chansons remplissent le paysage. On entendra violon, banjo, guimbarde flûte et mirliton, moins lourds à transporter que le piano…

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Extraits de texte 

« Connaissez vous les Vitalabri ? Non ne cherchez pas sur une carte ni sur une mappemonde, il n’y a pas de pays Vitalabri. Les Vitalabri sont chez eux partout et nulle part, surtout nulle part. Certains disent qu’ils n’aiment pas les Vitalabri parce que ceux-ci ont le nez pointu, et ceux qui ont le nez pointu, eux, n’aiment pas les Vitalabri parce qu’ils trouvent leur nez trop rond.
On n’aime pas non plus les Vitalabri parce qu’ils sont trop grands, beaucoup trop grands, ou trop petits, beaucoup trop petits, ou trop moyens, beaucoup trop moyens, c’est moche.»
« Arrêtez la musique  ! Plus de musique, plus de berceuses, plus, plus de musique !
Ici, dans ce merveilleux pays qui vous accueille aujourd’hui si généreusement, il n’y a absolument plus de place pour la musique et les musiciens ! Nous avons trop de musiciens vitalabrais, et pas assez de Schnellbunker specialisés.
En quoi ?
Quoi en quoi ?
Spécialisés en quoi ?
En tout.
Qu’est-ce que vous savez faire ?
Moi du violon.
Aaaah !
Et moi du Ukulélé souffla un des petits
Aaah !!! Non, non, non, non ! Vous devez avoir un métier, un vrai métier. »

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Extraits de Presse

La mise en scène de Lisa Wurmser réjouit petits et grands. Un délicieux spectacle qui enchante et parle de situations graves qui ne sont pas sans évoquer le sort des migrants aujourd’hui.
Armelle HELIOT – Le Figaro – 14 juillet 2016

Sur un tel sujet, le risque est le prêchi prêcha moralisateur. Avec le duo Grumberg/Wurmser, le danger est évité avec l’aisance du coureur de 3000 steeple franchissant sa première haie. Il y a du Chagall dans cette oeuvre où la gravité du propos n’interdit ni l’humour, ni la poésie, ni la berceuse. La pièce tient du conte magique avec son happy end, comme dans les histoires pour enfants, où tout se termine bien même si l’on sait qu’il ne peut en être ainsi dans la vraie vie. Mais qu’importe, il faut aussi apprendre à rêver, ne serait-ce que pour oublier l’insupportable.
Jacques DION – MARIANNE – Juillet 2016

Olga Grumberg (Madame Vitalabri), Pascal Vannson (Monsieur Vitalabri), Eric Slabiac – le fils violoniste et auteur des subtils arrangements musicaux, Pascale Blaison pour la pertinence de ses marionnettes, sous la direction de Lisa Wurmser, forment la talentueuse coalition qui fait des Vitalabri un rare et magnifique moment de théâtre. Au passage ils nous rappellent que Jean-Claude Grumberg est un de ceux qui inventèrent le rire de résistance qu’il pratique ici avec tendresse et malice.
Dominique DARZACQ – WEBTHEA – Juillet 2016

Des marionnettes à taille humaine et des ombres chinoises peuplent cette fable qui fait la part belle à la musique et qui fait référence à l’histoire, à Albert Einstein et à la musique. On rit beaucoup, et on admire le remarquable travail des artistes qui touche enfants comme adultes avec intelligence et une simplicité lumineuse.
Artistik Rezo, Hélène Kuttner

Quatre acteurs, un violoniste, des marionnettes et un conte admirable, à la fois puissant et malicieux, écrit par Jean-Claude Grumberg… Une histoire de réfugiés, vieille comme l’homme et toujours actuelle, propre à ravir les vrais enfants et l’enfant qui vit encore en  nous.
Le Canard enchaîné, 13 juillet 2016

Très finement, toute la puissance de l’œuvre résonne dans la mise en scène bourrée d’idées qu’en propose Lisa Wurmser. Il y a de la musique, des chants, des figurines, des chapeaux, des masques… et beaucoup d’espérance aussi. Car pour ces Vitalabris, tout finit par des chansons. Pour ceux-là…
Théâtral Magazine, François Varlin